Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
E

eau. (suite)

Aujourd'hui, 3 300 kilomètres de canalisations et 600 kilomètres d'aqueducs apportent quotidiennement au domicile de plus de deux millions de Parisiens 300 litres d'eau courante par personne. Deux siècles plus tôt, chacun des 600 000 Parisiens disposait de 15 litres, à recueillir aux fontaines ou livrés par 2 000 porteurs d'eau. Pour répondre aux besoins, des sociétés privées gèrent la captation, le traitement, le stockage, la distribution et la récupération de l'eau. La Compagnie générale des eaux, fondée en 1853, développe l'irrigation et alimente les plus riches quartiers urbains de Lyon (1858), Nice (1864), Paris (1867). Elle et sa rivale, la Société lyonnaise des eaux et de l'éclairage, constituée en 1881, sont devenues des firmes transnationales diversifiées qui comptent en France parmi les plus gros employeurs.

Ressource stratégique, l'eau est en outre placée sous la responsabilité de l'État et des collectivités locales. Si la dernière grande crue à Paris remonte à 1910, c'est que le cours des fleuves a depuis été régularisé, grâce à l'équipement du territoire en barrages qui assurent souvent, par ailleurs, une production hydroélectrique. De plus, six agences de bassin créées par l'État en 1964 surveillent la qualité et la quantité de l'eau distribuée et perçoivent des redevances. Le prix de l'eau potable, variable selon les régions, a considérablement augmenté entre 1990 et l'an 2000, afin de rentabiliser les investissements indispensables à l'amélioration ou à la préservation de la qualité des approvisionnements. Car à la « corruption » de l'eau, fléau des sociétés traditionnelles, a succédé la pollution engendrée par la civilisation industrielle, telle la contamination des nappes phréatiques par les nitrates contenus dans les engrais. Aujourd'hui, le seul milieu naturel n'est plus en mesure d'assurer la purification des eaux usées rejetées à l'écart, dans les rivières et la mer. La peur de la pollution et la recherche d'un meilleur goût ne sont pas étrangères à l'essor du marché de l'eau en bouteille. La France, où la consommation a été multipliée par 45 depuis 1950, en est le premier producteur et le premier exportateur mondial. Ce « thermalisme domestique » bénéficie, de même que les activités nautiques, d'une symbolique purificatrice plurimillénaire, que renouvelle l'exaltation publicitaire de la liberté par le bien-être, la jeunesse et le contact avec la nature.

Eaux et Forêts (administration des),

service chargé de la gestion des rivières et des forêts.

Sous l'Ancien Régime, la forêt revêt une grande importance : le bois est un combustible essentiel et un matériau indispensable pour le bâtiment et la construction navale. Or la pression économique et démographique entraîne des déprédations, une exploitation sauvage ou des abus dans les droits d'usage traditionnels (pâturage, prélèvement du bois de chauffage, etc.). Consciente de la nécessité de protéger le capital forestier, la monarchie prend des mesures conservatoires dès le règne de François Ier, et renforce son appareil de surveillance, qui a été institutionnalisé au XIVe siècle : les Eaux et Forêts constituent une juridiction extraordinaire, composée d'officiers qui sont à la fois administrateurs et juges. Ils ont en charge les forêts du domaine royal, et exercent un droit de regard sur tous les bois des particuliers et sur les rivières (navigation, pêche, entretien des rives...).

Cette administration spécialisée comporte trois échelons. Les « gruyers » et « verdiers », secondés par des sergents et des gardes, en forment la base. Au niveau du bailliage ou de la sénéchaussée, les maîtres particuliers des Eaux et Forêts, dont l'institution a été systématisée depuis 1555, gèrent l'organisation des coupes, procèdent aux arpentages et surveillent l'application des règlements (pêche, chasse, droits d'usage). Enfin, une vingtaine de grands maîtres supervisent le tout, et siègent auprès des différents parlements dans les « tables de marbre », tribunaux d'appel spécialisés.

Mais les guerres de Religion et les troubles de la première moitié du XVIIe siècle ont entraîné déprédations, gaspillages et usurpations. Les forêts ne sont pas entretenues, et leur superficie a fortement reculé : elle est passée d'un tiers à un quart du territoire en cent cinquante ans. Pour lutter contre le déboisement, Colbert entreprend en 1661 une « réformation » des forêts domaniales. En 1669, l'ordonnance de Saint-Germain-en-Laye pose, pour longtemps, les bases d'une politique de conservation patrimoniale. Ce code forestier accroît les compétences des officiers royaux, limite les droits d'usage et impose des règles d'exploitation précises à tous les propriétaires d'espaces boisés. Ces efforts portent leurs fruits au XVIIIe siècle, avant que la pression démographique et les besoins conjugués de la marine et de l'industrie, puis les urgences de la Révolution ne mettent à nouveau les forêts en péril.

Mais la loi de 1801 et, surtout, le Code forestier de 1827 permettent de reconstituer une solide administration des Eaux et Forêts. L'exploitation est à nouveau soumise à des règles de conservation et de gestion à long terme, dont les principes restent largement valables aujourd'hui.

Éboué (Félix),

haut fonctionnaire et homme politique (Cayenne 1884 - Le Caire 1944).

 Ancien élève de l' École coloniale, Félix Éboué est en 1936 le premier Noir à accéder aux fonctions de gouverneur des colonies, en Guadeloupe. Gouverneur du Tchad à partir de 1938, il répond à l'appel du 18 juin 1940 et se fait l'artisan du ralliement de L'A-ÉF et du Cameroun à la France libre. Nommé gouverneur général à Brazzaville en décembre 1940, il affronte une situation très difficile avec des effectifs fort réduits. Sa doctrine coloniale est exposée dans une circulaire générale de novembre 1941 : il y préconise notamment la décentralisation, le respect et la modernisation des structures traditionnelles africaines (chefferies), ainsi que l'éducation des masses et la formation d'une élite autochtone. Il encourage l'africanisation des cadres administratifs, promulguant notamment un « statut du notable évolué » (29 juillet 1942), qu'il attribue à 425 personnes. Il est, avec Henri Laurentie, le grand promoteur de la conférence de Brazzaville de janvier 1944, par laquelle la France libre entend jeter les bases d'une nouvelle organisation de l'empire colonial. Toutefois, déjà fort malade, il ne peut y faire prévaloir ses positions fédéralistes, que repoussent les partisans de la centralisation conduits par le gouverneur Raphaël Saller. Néanmoins, ses thèses inspireront en partie la politique coloniale de la IVe République. Éboué s'éteint au Caire le 17 mai 1944. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1949.