eau. (suite)
Aujourd'hui, 3 300 kilomètres de canalisations et 600 kilomètres d'aqueducs apportent quotidiennement au domicile de plus de deux millions de Parisiens 300 litres d'eau courante par personne. Deux siècles plus tôt, chacun des 600 000 Parisiens disposait de 15 litres, à recueillir aux fontaines ou livrés par 2 000 porteurs d'eau. Pour répondre aux besoins, des sociétés privées gèrent la captation, le traitement, le stockage, la distribution et la récupération de l'eau. La Compagnie générale des eaux, fondée en 1853, développe l'irrigation et alimente les plus riches quartiers urbains de Lyon (1858), Nice (1864), Paris (1867). Elle et sa rivale, la Société lyonnaise des eaux et de l'éclairage, constituée en 1881, sont devenues des firmes transnationales diversifiées qui comptent en France parmi les plus gros employeurs.
Ressource stratégique, l'eau est en outre placée sous la responsabilité de l'État et des collectivités locales. Si la dernière grande crue à Paris remonte à 1910, c'est que le cours des fleuves a depuis été régularisé, grâce à l'équipement du territoire en barrages qui assurent souvent, par ailleurs, une production hydroélectrique. De plus, six agences de bassin créées par l'État en 1964 surveillent la qualité et la quantité de l'eau distribuée et perçoivent des redevances. Le prix de l'eau potable, variable selon les régions, a considérablement augmenté entre 1990 et l'an 2000, afin de rentabiliser les investissements indispensables à l'amélioration ou à la préservation de la qualité des approvisionnements. Car à la « corruption » de l'eau, fléau des sociétés traditionnelles, a succédé la pollution engendrée par la civilisation industrielle, telle la contamination des nappes phréatiques par les nitrates contenus dans les engrais. Aujourd'hui, le seul milieu naturel n'est plus en mesure d'assurer la purification des eaux usées rejetées à l'écart, dans les rivières et la mer. La peur de la pollution et la recherche d'un meilleur goût ne sont pas étrangères à l'essor du marché de l'eau en bouteille. La France, où la consommation a été multipliée par 45 depuis 1950, en est le premier producteur et le premier exportateur mondial. Ce « thermalisme domestique » bénéficie, de même que les activités nautiques, d'une symbolique purificatrice plurimillénaire, que renouvelle l'exaltation publicitaire de la liberté par le bien-être, la jeunesse et le contact avec la nature.