impôt, (suite)
L'impôt sur le revenu et le système fiscal contemporain.
• L'introduction de l'impôt sur le revenu a fait l'objet d'une longue bataille parlementaire. Dans ses Notes et souvenirs, Adolphe Thiers exprime ainsi son hostilité à ce prélèvement : « La gauche avait son moyen tout tracé pour rétablir l'équilibre budgétaire : l'impôt sur le revenu. Cet impôt serait le plus équitable de tous, s'il existait un moyen sûr d'évaluer exactement les facultés de chaque contribuable ; mais, pour faire cette évaluation, on n'a que la déclaration du contribuable lui-même, fondement trop incertain pour asseoir une taxe, ou l'inquisition des fortunes privées par les agents du fisc, moyen de taxation odieux et arbitraire. L'impôt sur le revenu serait un impôt de discorde. J'étais donc résolu à le repousser énergiquement. » À l'inverse, la gauche radicale et socialiste, dont les progrès électoraux sont constants après 1880, fait de l'impôt général et progressif sur le revenu l'axe de son programme de redistribution des richesses. Entre 1894 et 1914, la Chambre des députés vote plusieurs fois le projet, qui est toujours repoussé par le Sénat, composé essentiellement de notables ruraux. Il faut attendre juillet 1914 pour que les deux Chambres adoptent le compromis préparé par Joseph Caillaux, radical, à diverses reprises ministre des Finances, et président du Conseil.
L'impôt sur le revenu, qui va devenir pour l'opinion publique l'impôt par excellence - bien qu'il n'ait jamais rapporté qu'une petite partie de l'ensemble des rentrées fiscales -, introduit, outre la progressivité, deux nouveautés fondamentales : la généralisation de la déclaration, et donc du contrôle de celle-ci ; la personnalisation de l'impôt, surtout après 1945, avec l'instauration du quotient familial.
La création de l'impôt sur le revenu entraîne la disparition des « quatre vieilles » en tant qu'impôts destinés à l'État, ainsi que leur transfert vers les collectivités locales, sous des formes et des dénominations différentes : l'impôt des portes et fenêtres est supprimé ; la taxe professionnelle remplacera la patente en 1974. En outre, l'impôt sur les bénéfices des sociétés est institué en 1948, dans la logique d'un certain anticapitalisme représentatif d'une partie de la Résistance. Par la suite, des impôts sur le capital frappent également les plus-values réalisées lors de la cession de valeurs immobilières ou mobilières (1963-1976) ; enfin, l'impôt taxe les grandes fortunes (IGF, 1982-1986, puis ISF à partir de 1989), à l'exception des biens à usage professionnel.
Au cours du XXe siècle, surtout après les deux conflits mondiaux, les besoins de l'État ne cessent de croître, du fait des nécessités de la reconstruction économique et de l'élargissement des fonctions dévolues aux pouvoirs publics. Aussi, les gouvernements ont-ils accentué la tendance au recours à la fiscalité indirecte - elle fournit les deux tiers des ressources fiscales -, moins visible que la fiscalité directe, moins impopulaire, et presque indolore. Ils ont cherché à généraliser la taxation des activités économiques, soit au niveau du chiffre d'affaires des entreprises (1920), soit au niveau des différentes étapes du circuit de production et de la circulation des marchandises (taxe à la valeur ajoutée, 1954). Cependant, cette généralisation de la fiscalité indirecte n'empêche pas la survivance d'une taxation particulière de certains produits (tabac, alcools, carburants).
Néanmoins, cette configuration nouvelle du système des impôts ne constitue pas le changement le plus important intervenu dans la fiscalité contemporaine. D'une part, l'impôt n'est plus seulement une ressource de l'État, il est aussi un instrument de régulation sociale (rôle redistributif) et, de plus en plus, économique (par le jeu des exemptions ou abattements consentis à des secteurs, branches ou régions soumis à des difficultés d'ordre conjoncturel). D'autre part, bien qu'en France le financement de la protection sociale ne soit pas fiscalisé (en 1996, cependant, un mouvement s'esquisse en ce sens), les impôts ne constituent plus les seuls prélèvements obligatoires. Les cotisations sociales, en constante augmentation, absorbent aujourd'hui un quart du produit intérieur, et les impôts, d'État ou locaux, moins de 20 %, une proportion qui tend à diminuer régulièrement. L'ampleur et la structure des prélèvements sociaux influent donc sur celles de la fiscalité et limitent les possibilités d'intervenir sur cette dernière.