Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Ferme générale,

sous l'Ancien Régime, compagnie privilégiée chargée de la collecte des impôts indirects.

L'affermage consiste à concéder par bail la perception des revenus fiscaux à des particuliers : ceux-ci en avancent le produit attendu, et se remboursent auprès des contribuables, moyennant de gros bénéfices. Le roi dispose ainsi de rentrées d'argent garanties sans avoir à se soucier des modalités de collecte ni à entretenir le personnel nécessaire, au risque d'accroître la pression fiscale.

Un rouage essentiel du système financier.

• La pratique de l'adjudication des Fermes remonte aux Capétiens. Longtemps, la diversité des droits affermés en baux différents a entraîné une multiplication du nombre des fermiers généraux (appelés aussi « traitants » ou « partisans »). Mais, à partir du XVIe siècle, la monarchie s'efforce de concentrer ces baux. Les taxes des treize provinces centrales constituent, en 1584, l'ensemble des « Cinq Grosses Fermes », auxquelles Colbert ajoute en 1680 les gabelles (impôts surle sel), les aides (sur les boissons), les traites et entrées (taxes sur la circulation des denrées), et les revenus des domaines royaux. Enfin, la Ferme générale des droits du roi est établie en 1726, après l'intermède de la banqueroute de John Law.

La Ferme est une compagnie de finance privée dont la concession repose sur un bail unique, valable six ans. En principe, à l'expiration du bail, la société se dissout, et de nouvelles enchères ont lieu. En réalité, l'adjudication aux enchères est une fiction : le concessionnaire officiel du bail change, mais les financiers qui le cautionnent restent souvent les mêmes. La compagnie se perpétue ainsi derrière chaque prête-nom.

Le montant du bail - 80 millions de livres en 1726, 152 millions en 1774, puis 144 millions après 1780, quand les aides sont organisées en régie nationale, et les droits domaniaux, retirés de la Ferme - représente 55 % des recettes fiscales royales en 1726, et environ 45 % au milieu du siècle. Le roi exige des fermiers un cautionnement élevé - 90 millions de livres -, qui forme le capital de leur société, et est divisé en parts égales. Ces fonds, puisés dans leur fortune personnelle ou empruntés, rapportent à chaque fermier général 10 % d'intérêts sur le premier million avancé, et 6 % au-delà. S'y ajoutent une rémunération fixe de 24 000 livres, 42 000 livres pour « frais de bureau », et bien sûr les bénéfices directs de l'exploitation fiscale du pays. Globalement, les gains peuvent atteindre 35 % du capital investi.

Les fermiers généraux sont 40 de 1726 à 1756, 60 voire 80 ensuite, et à nouveau une quarantaine dans les années 1780. Au total, de 1726 à 1791, on dénombre 226 fermiers, qui appartiennent à 156 familles. Issus des milieux de la finance ou de la haute administration, plus rarement du commerce ou de la banque, parisiens pour un tiers, ils constituent une sorte de haute bourgeoisie anoblie, parfois depuis plusieurs générations. Seulement 10 % d'entre eux sont des roturiers. La réalité diffère donc de la description satirique qu'en donnent de nombreux pamphlets, et la pièce d'Alain René Lesage, Turcaret, monté en 1709, où des fils de laquais sans scrupules deviennent des financiers. Les hôtels cossus que se font construire les fermiers dans les nouveaux quartiers à la mode dans le nord-ouest de Paris attestent la solidité de leur fortune.

La Ferme constitue une institution originale, entre administration publique et entreprise privée. La Compagnie des fermiers généraux est provisoire, ne durant en principe que le temps du bail, mais ses services sont permanents : à chaque nouvelle concession, les bâtiments, les bureaux et le personnel de cette quasi-administration changent simplement de propriétaires. Avec 700 employés dans ses services parisiens et une « armée » de 30 000 gabelous dans le pays, la Ferme est une organisation complexe, qui a mis en place des règles de gestion du personnel très modernes : profil de carrière, tableau d'avancement, formation et notation des employés, caisse de retraite. Même si elle n'est pas, à proprement parler, une administration d'État, ses agents présentent tous les caractères des futurs fonctionnaires.

Mais l'affermage des impôts et l'injustice de la fiscalité suscitent de nombreuses critiques, qui s'exacerbent à la fin du XVIIIe siècle. Malgré la réforme de Necker, qui lui impose une tutelle renforcée en 1780, la Ferme reste très impopulaire, et ses profits exorbitants la condamnent : elle disparaît en 1791, quand la Révolution refond tout le système fiscal.

fermier,

locataire d'un bien rural pour une durée déterminée et moyennant le versement d'un loyer fixe (fermage).

Pratique courante dès le règne de Louis IX en Soissonnais, le fermage s'impose ensuite progressivement dans les régions les plus riches. Le mouvement de « restauration rurale » né des crises des XIVe et XVe siècles fait apparaître une « aristocratie villageoise » dont le fermier représente l'une des principales figures.

Le petit monde des fermiers se partage la mise en valeur des grands domaines ou seigneuries appartenant à des rentiers urbains, pour une durée de trois, six ou neuf ans, voire davantage. Ainsi, en 1507, l'abbé de Saint-Denis confie, pour vingt-cinq ans, au laboureur Lucas Pichon son manoir de Beaurain, situé dans la vallée de Chevreuse, au sud de Paris. Véritable entrepreneur, Pichon, qui exploite plus de 60 hectares et dispose de capitaux et d'un cheptel, est donc un personnage des plus marquants de l'horizon villageois. Il représente le seigneur-abbé pour la gestion de ses biens ; il lève les dîmes, est « garde-bois » de la forêt, et possède le bail de la prison seigneuriale. Il emploie aussi la main-d'œuvre locale, valets et saisonniers, et loue ses instruments aratoires. Dégageant des surplus, il est marchand de grains et prêteur de semences ou d'argent, alors que le monde agricole, toujours à la merci d'une mauvaise récolte, souffre d'un manque de numéraire.

Formant un groupe de plus en plus fermé et différencié, les fermiers aspirent au titre de « marchands » et « laboureurs » et à l'appellation d'« honorables hommes ». Cumulant les baux, ils sont receveurs seigneuriaux, et accaparent les charges de la communauté et de la paroisse. Selon l'historien Jean-Marc Moriceau, ils « entrent en notabilité ». Tel est le cas du père de Rétif de La Bretonne, Edme, l'un des modèles du fermier sous le règne de Louis XV : exploitant aisé, il devient successivement procureur fiscal, juge seigneurial, prévôt du village, receveur de l'évêque et du chapitre d'Auxerre, enfin juge-prévôt. Toutefois Edme est, selon Emmanuel Le Roy Ladurie, « un vrai paysan, et pas un propriétaire aux mains blanches ».