Henri IV, roi de France et de Navarre, est une figure faite de contradictions, oscillant dans toutes les séquences de son histoire entre plusieurs images.
Il faut se demander si ce n'est pas cette pratique de l'ambiguïté qui conditionna la destinée du roi restaurateur de la paix civile, dans la mesure où elle lui permit de toujours pouvoir se replacer dans la mobilité même de l'histoire. Il faut aussi se demander si elle ne renvoie pas à une idéologie spécifique, qui trouva sa réalisation dans l'absolutisme henricien, et si elle ne reflète pas, plus globalement, une culture baroque au sein de laquelle la vision de l'homme est celle d'un être en mouvement, sans cesse contraint de changer sa persona pour répondre aux vicissitudes d'une fortuna inconstante et pour tenter de réaliser le destin auquel il se sait promis.
Déchirures d'enfance et d'adolescence
Ces contradictions sont perceptibles dès l'enfance et l'adolescence. Par son père, le prince de sang Antoine de Bourbon, le Béarnais descend de Robert de Clermont, tandis que par sa mère, Jeanne d'Albret, il est le petit-fils de Marguerite de Navarre, sœur de François Ier. Né à Pau le 13 décembre 1553, il passe sa petite enfance en Béarn, séjour interrompu par un premier passage à la cour de France en février 1557. Cette période est celle d'un apprentissage des rapports de force et de la nécessité, pour un prince, de se plier aux vicissitudes imposées par le destin. Elle voit l'adhésion différenciée de ses parents aux idées nouvelles : sa mère opte ouvertement pour le calvinisme à partir de 1556, et confie l'éducation du jeune Henri à un gouverneur et à un précepteur calvinistes ; son père, en revanche, se serait peut-être rallié à la solution de ceux que l'on appelait les « moyenneurs », parce qu'ils voulaient promouvoir une solution de conciliation religieuse.
C'est dans ce contexte de divergences de vues qu'Henri, en août 1561, se rend une seconde fois à la cour, où il va demeurer cinq ans. Séparé de sa mère et vivant dans l'entourage de ses cousins, il assiste au ralliement de son père à la cause catholique puis au déclenchement de la première guerre de Religion, et accepte de suivre les pratiques cultuelles de la religion traditionnelle. Après la mort d'Antoine de Bourbon, il reçoit les charges de lieutenant général, de gouverneur et d'amiral de Guyenne. Avec les ducs d'Anjou et de Guise, il a peut-être suivi l'enseignement humaniste donné au Collège de Navarre, et, parallèlement à l'apprentissage des exercices physiques, il prend part aux fêtes et aux expériences poétiques qu'encourage la royauté.
Lors du grand voyage de la cour à travers le royaume (1564-1566), il revoit temporairement sa mère, qui ne parvient à le ramener à Pau qu'en février 1567, dans un Béarn pour lequel elle a fait le choix de promouvoir la réforme genevoise. Son retour au calvinisme s'accompagne d'un engagement militaire durant la troisième guerre de Religion : il est présent à Jarnac, et la mort de Louis de Condé fait de lui, désormais, le premier prince du sang. Après la défaite de Moncontour le 3 octobre 1569, il suit l'armée de Coligny dans sa longue campagne ; lors de la victoire protestante d'Arnay-le-Duc, il aurait, pour la première fois, dirigé lui-même une charge contre l'armée royale.
Le prince de Navarre va devenir un enjeu de la paix, puisque Catherine de Médicis, au cours de négociations difficiles (avril 1572), réussit à obtenir de Jeanne d'Albret qu'il épouse Marguerite de Valois : une union qui, non seulement symboliserait la concorde des Français des deux religions, mais en assurerait « magiquement » la perpétuation. Retardé par le décès de Jeanne d'Albret (9 juin), le mariage a finalement lieu le 18 août 1572, selon un rituel savamment étudié qui voit les deux époux échanger leur consentement et recevoir la bénédiction nuptiale devant Notre-Dame, puis Marguerite assister seule à la messe dans la cathédrale. Henri, désormais roi de Navarre, est épargné par les massacreurs de la Saint-Barthélemy en raison de son sang royal, et abjure le 26 septembre.
Entre soumission et mission
Les trois années qui suivent constituent une période intermédiaire durant laquelle il est impossible de distinguer la part de doute, de duplicité ou de réalisme du roi de Navarre. Il va jusqu'à signer un édit proscrivant le culte réformé en Béarn, rejoint l'armée royale à l'occasion du siège de La Rochelle, et s'intègre dans l'univers des divertissements de la cour. Il n'en est pas moins vrai qu'il semble s'engager aussi sur la voie du complot, aux côtés du duc d'Alençon - avec qui il tente sans succès, à plusieurs reprises, de s'échapper de la cour en 1573 et 1574. Ce n'est que le 3 février 1576 qu'il réussit son évasion. Il abandonne son épouse Marguerite, avec laquelle ses relations sont déjà détériorées, abjure la religion papiste - peut-être après des hésitations tactiques - (13 juin), et développe une subjectivité providentialiste : il se met en représentation comme l'élu de Dieu, le « nouveau David », et c'est dans cette certitude intime d'être porteur d'une mission qu'il faut chercher à comprendre le temps d'aventures et de combats qui s'ouvre alors. Face au prince de Condé et à sa volonté d'incarner une identité combattante réformée autonome, Henri s'oriente vers le choix d'un rapprochement avec les catholiques languedociens, qui, regroupés derrière le maréchal de Damville, sont partisans d'une lutte calvinistes contre l'exclusivisme catholique et le pouvoir monarchique.