Régence (suite)
Les arts expriment les aspirations d'une société en quête de nouveauté. Mécène et collectionneur, le Régent commande aux Coypel quatorze toiles célébrant les amours de Didon et d'Énée. Elles seront exposées dans l'immense galerie de l'aile gauche du Palais-Royal et qu'on appellera désormais « galerie d'Énée ». C'est l'une des curiosités de la capitale. Toujours au Palais-Royal, dans le salon conçu par l'architecte Oppenord et dans les cabinets qui suivent en enfilade, s'entassent les œuvres des plus grands maîtres italiens, flamands, allemands et français des deux siècles précédents et que le prince fait acheter dans l'Europe entière. Il augmente les collections de médailles et de pierres gravées apportées d'Allemagne par la princesse Palatine, sa mère.
Les artistes abandonnent la solennité majestueuse qui a fait la gloire du règne précédent. L'art louis-quatorzien cède la place à l'exubérance du rococo. On se plaît à représenter la vie quotidienne, à exalter l'intimité. Si Le Moyne (1688-1737) reste le peintre officiel, Watteau (1684-1721) s'affirme comme le plus original. C'est lui qui domine la période (les Comédiens-Italiens, les Comédiens-Français, [vers 1715], l'Embarquement pour Cythère [1717], l'Enseigne de Gersaint [1720] ...). La décoration intérieure évolue. Le « goût moderne » s'impose, avec ses tons clairs. Le meuble se transforme sous l'influence d'ébénistes tels que Cressent. En architecture, Boffrand et Lassurance poursuivent l'œuvre de Mansart. À Paris, on construit l'hôtel Matignon, l'hôtel de Lassay, l'hôtel d'Évreux (l'Élysée), le Palais-Bourbon...
Toutefois, cette effervescence créatrice ne concerne que les élites et ceux qui gravitent dans leur orbite. Aucun bouleversement notable n'affecte la vie économique. En dehors des grandes villes, la société change peu : 85 % de la population vit à la campagne, monde de « silence » peu propice aux mutations soudaines. En fait, la chronique quotidienne relate plus de crimes, de vols (affaire Cartouche), de ruines et de calamités que de fêtes galantes. La Régence est aussi le temps des hivers dramatiques (on parle de « petit âge glaciaire » pour la période allant de 1690 à 1730), des incendies dévastateurs (celui du Petit-Pont, à Paris, en avril 1718 ; celui de Rennes, en septembre 1720), des inondations et des épidémies. La variole frappe en 1716, en 1719-1720, en 1723, et la peste ravage Marseille en 1720. La Régence n'est une période de mutation que pour les privilégiés.