Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S

sorcellerie. (suite)

La torture est réglementée, appliquée sous surveillance médicale. Les juges sont taxés de faute professionnelle lourde et poursuivis si l'accusée en meurt. Elle n'est pas utilisée systématiquement. Nombre de prétendues sorcières cèdent bien avant, s'effondrent psychologiquement et acceptent de répondre positivement aux questions réitérées des magistrats. Avec ou sans torture, certaines donnent même de nombreux détails précis, courant au-devant de la mort avec une sorte de soulagement, après des semaines ou des mois d'emprisonnement et de pressions. Les procès-verbaux consignent toujours avec soin chaque parole, chaque geste. L'aveu entraîne la peine de mort, par le feu le plus souvent. Pour abréger les souffrances des condamnées les plus coopératives, le bourreau peut être autorisé à les étrangler secrètement en profitant des premières fumées du bûcher.

Les sentences définissent trois éléments du crime de sorcellerie : la rencontre avec le diable, suivie d'un pacte signé de sa griffe sur le corps de la sorcière ; la participation au sabbat, sorte de messe maléfique calquée sur celle des catholiques, mais inversée ; les maléfices commis contre les êtres humains (surtout les petits enfants), les animaux ou les fruits de la terre. Lues en public avant le supplice, elles diffusent dans les populations le contenu de la doctrine démonologique en même temps que la peur d'être soi-même sorcier. Nombre de paysans y trouvent matière à s'inquiéter en découvrant alors qu'ils pratiquent quotidiennement des « superstitions » interdites. Les parents des sorciers sont d'autant plus concernés que le crime est considéré comme héréditaire. Selon l'opinion commune, les filles de sorcières sont sorcières, les garçons deviennent des loups-garous. Les dénonciations d'une condamnée font donc boule de neige. Un chapelet de bûchers en résulte dans certaines régions. Une minorité d'hommes se trouve dans ce contingent, qui comprend parfois de jeunes enfants.

La France des bûchers de sorcellerie

Le cas français n'est pas le mieux documenté. Les recherches n'ont pas beaucoup progressé depuis la publication en 1968 de la thèse de Robert Mandrou, plus centrée sur la psychologie des juges que sur celle des accusés de sorcellerie. La grande modération du parlement de Paris en ce domaine est à noter : dans son ressort, qui couvre la moitié du royaume, il a reçu en appel 1 254 cas entre 1540 et 1670 mais n'a entériné la sentence de mort que pour 115 suspects, soit 9 % du total. Les chiffres sont à comparer aux 22 500 bûchers de sorcellerie probablement allumés dans l'ensemble du Saint Empire, à peu près deux fois plus peuplé que les territoires contrôlés en appel par le parlement de Paris. La différence est tellement saisissante qu'elle invite à parler de grande clémence dans la partie centrale du royaume de France. La seule véritable période répressive - de 1580 à 1625 - est marquée par moins d'une centaine de bûchers de sorcellerie pour un ressort peuplé de près de dix millions d'habitants. Les décisions de relaxe pure et simple concernent par la suite plus de la moitié des accusés.

Les périphéries du royaume sont encore plus mal connues. Il est cependant possible de distinguer trois grandes régions. Sur les territoires qui dépendent du parlement de Paris, les sorcières sont traitées avec beaucoup de clémence, malgré de rares poussées fiévreuses ne dépassant généralement pas quelques dizaines de cas. Les provinces occidentales et méridionales semblent relever du même modèle, avec quelques variantes, notamment plus de sévérité répressive en Normandie. Enfin, une troisième zone de l'Hexagone actuel, le nord et le nord-est, connaît une répression beaucoup plus vive et plus ample. Cependant, ces provinces ne sont pas françaises au moment du paroxysme des procès de sorcellerie : l'Artois n'est rattaché au royaume qu'en 1640-1659, la Flandre et le Hainaut en 1668-1678, la Franche-Comté en 1678, tandis que la Lorraine constitue un duché indépendant, acquis seulement en 1766. L'arc des persécutions, qui court de la Suisse aux Pays-Bas, recouvre des territoires appartenant à l'Espagne de la Contre-Réforme ou à ses alliés, au contact de zones du Saint Empire où la chasse aux sorcières fait rage.

Une dernière vague de procès touche la France entre 1640 et 1680. Vers 1644-1645, une crise concerne surtout la Champagne, la Bourgogne, le Languedoc, Poitiers et le Bordelais. Elle est suivie d'une longue période d'apaisement jusqu'en 1670, qui exclut toutefois le Vivarais, gagné par la persécution vers 1650. Il est difficile de dire si le silence des sources correspond à la réalité ou si le manque de recherches contribue à fausser les perspectives. À partir de 1670, les bûchers flambent à nouveau en Normandie, en Béarn et en Guyenne. S'y ajoutent les procès conduits dans des régions devenues françaises depuis peu, Alsace, Flandre et Hainaut.

Au total, le royaume de France dans ses frontières des années 1560-1630 n'est que très peu concerné par la chasse aux sorcières. On compte environ 200 bûchers pour l'ensemble des territoires du ressort des parlements de Paris, de Rouen et d'Aix-en-Provence, où vit alors largement plus de la moitié des Français. La Normandie fait figure de zone un peu plus sensible dans une France occidentale peu portée à de telles poursuites, où la Bretagne ne semble pas du tout touchée par la vague répressive. Les choses changent complètement vers l'est, au-delà des frontières de l'époque : en effet, dans les régions appelées à devenir françaises, on compte 900 bûchers attestés, auxquels s'ajoutent 1 600 à 2 400 autres en Lorraine, selon des estimations à vérifier.

La France ne connaît guère d'« épidémies » de sorcellerie qui se propagent avec rapidité de village en village. Le nombre modéré des poursuites témoigne de ce fait. Seules quelques régions enregistrent de tels phénomènes. Les Ardennes, qui relèvent du parlement de Paris, voient ainsi éclater des paniques en divers lieux. Les juges supérieurs enrayent souvent le mouvement en sévissant contre les meneurs qui ont baigné une sorcière pour obtenir la preuve par l'eau. En général, la persécution s'éteint vite, faute de véritables incitations sur place.