Robespierre (Maximilien Marie Isidore de), (suite)
Cette trop subtile balance l'a obligé à des dosages tout aussi subtils ; elle a donné une « souplesse » à ses discours, qui peut être entendue soit comme une adaptation après coup aux situations, soit comme une désignation symbolique des événements, soit enfin comme une pratique ordinaire d'avocat. On comprend dès lors que l'homme a suscité nombre de malentendus. Socialement, il revendique une position de porte-parole, appelant à une révolution permanente, en s'appuyant sur l'idée fondamentale qu'il convient toujours de trouver la légitimité dans le peuple. Cependant, au quotidien, cette position théorique revendiquée lui donne les moyens de contrôler fermement les voies d'accès au pouvoir à la Convention, puis elle finit par l'isoler complètement et par permettre à des manœuvriers de retourner contre lui ses propres principes.
Ces paradoxes et ces contradictions expliquent que ses contemporains n'aient pas toujours bien compris Robespierre et que ses biographes aient simplifié l'analyse du personnage, versant sans nuance dans l'éloge ou le dénigrement. Il n'a pourtant été ni un pur esprit rationalisateur, ni un manipulateur diabolique, ni un homme frustré appliquant maladroitement des principes mal compris, ni le maître absolu de la Révolution ; il aura été davantage un individu porté par une recherche sans faiblesse de nouvelles conditions de vivre en politique, osant proposer des notions inédites. Il est en tout cas impossible de le considérer comme porteur d'une vision totalitaire de la société, puisque sa quête de l'universel ne vise pas l'établissement d'un contrôle des relations entre les individus, mais exprime seulement la volonté d'élever à la dignité politique la part d'universel contenue en chacun. Reste qu'il a couvert de son autorité ou de son silence des violences extrêmes et qu'il n'a pas réussi à « fixer » la Révolution ; enfin, il a eu recours, lui aussi, aux exécutions d'adversaires ; si bien que les souvenirs laissés par la Révolution et les interprétations qui en ont découlé, ont retenu avant tout la violence de ses discours et les actes qui furent commis, sinon en son nom, du moins pendant sa vie publique, pour en faire le prototype des dictateurs paranoïaques du XXe siècle.