Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (Ve). (suite)

Un ballet à quatre danseurs - le « quadrille bipolaire », selon l'expression que forge alors le politologue Maurice Duverger - voit s'opposer deux couples - communistes et socialistes, gaullistes et libéraux - unis par leur antagonisme réciproque mais parcourus aussi de forces centrifuges. Amorcé dans les années 1960, ce « quadrille bipolaire » s'épanouit dans les années soixante-dix : les élections présidentielles de 1974 et de 1981 en sont les formes les plus achevées. Les quatre partis recueillent alors, à eux seuls, près de 90 % des suffrages exprimés.

Pour l'heure, en ce milieu des années 1970, malgré la crise naissante et les difficultés croissantes rencontrées par Valéry Giscard d'Estaing, la Ve République paraît avoir atteint sa vitesse de croisière : ses institutions ne sont plus remises en cause par aucune grande force politique ; elles ont survécu, tour à tour, au départ de leur fondateur et à la perte de la magistrature suprême par les gaullistes ; le mode de scrutin semble déboucher sur un clivage droite-gauche au sein duquel s'expriment les quatre grandes sensibilités politiques du moment. Bien plus, le régime paraît faire la preuve d'une capacité à gérer et à accompagner les mutations de la société française. Mais, déjà, en toile de fond, et sans que les contemporains en aient sur le moment une réelle perception, des facteurs de perturbation commencent à opérer, vivifiés par la crise économique.

Le Premier ministre qui doit affronter ce dérèglement est un nouveau venu en politique : Raymond Barre, successeur de Jacques Chirac, est inconnu des Français lorsqu'il est nommé à la tête du gouvernement par Valéry Giscard d'Estaing. Ce dernier le présente alors à ses concitoyens comme le « meilleur économiste de France ». Il y a probablement dans une telle étiquette une volonté d'exorciser la crise et une indication donnée au pays sur l'importance des mutations économiques en cours. Le plan de redressement que Raymond Barre met en place porte ses premiers fruits, qui sont cependant éphémères. Un second choc pétrolier, intervenu en 1979, ruine ces efforts : l'inflation repart et dépasse 13 % en 1980, tandis que le chômage s'accroît, jusqu'à toucher 1,65 million de personnes à la fin du septennat.

Raymond Barre demeure Premier ministre jusqu'à cette date. Il est donc resté chef du gouvernement pendant près de cinq ans (le record de longévité à ce poste - six ans - revient à Georges Pompidou). Or, par la suite, aucun Premier ministre ne demeurera plus de trois ans aux affaires. En effet, de la crise semble résulter une plus grande difficulté pour les responsables politiques à inscrire leur action dans la durée.

De surcroît, Raymond Barre n'a pas alors une tâche aisée. Aux problèmes économiques s'ajoutent de vives tensions politiques. Jacques Chirac crée en décembre 1976 le Rassemblement pour la République (RPR), tandis que les partisans du chef de l'État se regroupent en février 1978 au sein de l'Union pour la démocratie française (UDF). Ces deux grands partis de la droite sont dotés de forces à peu près comparables. D'autre part, communistes et socialistes continuent leur montée en puissance électorale, malgré de profondes dissensions qui se font jour entre eux. Mais, aux législatives de mars 1978, que la gauche semble en mesure de gagner, ces désaccords ont un effet désastreux sur l'électorat : aussi, la droite reste-elle majoritaire (292 sièges, contre 200 aux partis de gauche).

Comme par le passé, c'est l'élection présidentielle qui apparaît comme le moment de vérité. La droite, affaiblie par la crise qu'elle subit de plein fouet en étant aux affaires, a-t-elle été seulement « miraculée » (René Rémond) en 1978, ou est-elle alors en train de sortir de l'ornière où l'avaient placée les difficultés persistantes ? Et la gauche continue-t-elle à cette époque sa progression, malgré la forte houle entre socialistes et communistes et la rivalité, au sein du PS, entre Michel Rocard et François Mitterrand ?

Les septennats de François Mitterrand.

• Alors que, quelques mois avant l'élection présidentielle de mai 1981, les sondages donnent encore Valéry Giscard d'Estaing vainqueur de François Mitterrand, c'est ce dernier qui l'emporte finalement. Cette victoire n'est pas seulement la revanche de la gauche sur l'échec de 1974, c'est surtout l'une des dates essentielles de l'histoire de la Ve République : pour la première fois depuis vingt-trois ans, s'opère l'« alternance politique », comme la baptisent à chaud les observateurs. En 1974, la présidence de la République avait échappé aux gaullistes mais elle était restée à la droite. Le 10 mai au soir, le changement politique est complet.

Il est confirmé le mois suivant, quand les élections législatives ratifient, tout en l'amplifiant, le succès socialiste : avec 37,7 % des suffrages exprimés, le PS obtient 285 sièges. Comme l'UDR en 1968, il a, à lui seul, la majorité absolue à l'Assemblée nationale. La dynamique de la remontée socialiste dans les années 1970 et le brusque décrochage communiste (15 % des voix) aux élections de 1981 ont entraîné un rééquilibrage à gauche. Le « danseur » communiste du « quadrille bipolaire » ne retrouvera jamais ses marques d'avant 1981 ; bien au contraire, il frôlera dès 1984 la barre symbolique des 10 % des suffrages exprimés. Si la bipolarisation prévaut donc encore en ce début des années 1980, le PS est devenu à gauche un parti dominant, comme l'avaient été à droite l'UNR puis l'UDR, de 1958 à 1974.

Porté par le contexte de l'« état de grâce » qui suit la victoire politique de la gauche, le nouveau Premier ministre Pierre Mauroy met rapidement en œuvre plusieurs réformes, présentées comme le « socle du changement » : abolition de la peine de mort, durée du travail hebdomadaire ramenée à trente-neuf heures, généralisation de la cinquième semaine de congés payés, retraite à soixante ans, lois Auroux concernant le droit du travail, loi de décentralisation, autorisation des radios privées et création de la Haute Autorité de l'audiovisuel. Ces réformes sont complétées, sur le plan économique, par une extension du secteur public : cinq sociétés industrielles, dont Saint-Gobain et Rhône-Poulenc, deux compagnies financières (Paribas et Suez) et trente-six banques sont nationalisées. Et, à court terme, le gouvernement entend s'engager dans une « bataille de l'emploi », en favorisant une reprise de l'activité économique par la consommation des ménages.