homme politique (Saint-Dié, Vosges, 1832 - Paris 1893).
Il est peu d'hommes d'État dont la gloire posthume offre un contraste aussi marqué avec l'hostilité qu'ils ont subie lorsqu'ils détenaient le pouvoir. Jules Ferry est l'un des rares dirigeants de la IIIe République dont le nom soit toujours familier aux Français, ne fût-ce que parce qu'on l'a donné à nombre d'établissements scolaires ; il est aussi considéré par les historiens comme l'un des plus grands. Mais l'unanimité qui s'est faite sur la valeur de l'homme n'empêche pas son œuvre et son héritage politique d'être encore objets de débats.
Les années de formation.
• À la mort de sa mère, en 1836, Jules Ferry n'avait que 4 ans ; son père Charles-Édouard, avocat au barreau de Saint-Dié, a su veiller à l'éducation de ses trois enfants. Tout au long de sa vie, il trouvera en Charles, frère admirable, une affection, un dévouement, un appui matériel et moral indéfectibles. À son père, il doit, pour partie, son goût des études juridiques, où il s'est engagé au terme d'une scolarité exemplaire. Mais il lui doit surtout l'orientation de ses idées - aussi sa vocation peut-elle être comparée à celles de Clemenceau ou de Waldeck-Rousseau. Les Ferry appartenaient à la famille libérale. « Nos saints, les voici », aimait à dire son oncle Émile en montrant les bustes de Voltaire et de Rousseau. L'entrée de Jules dans la carrière politique a sans doute été facilitée par la réputation dont son père, libre penseur, conseiller général d'opposition sous la monarchie de Juillet, jouissait dans les milieux républicains.
En 1850, Charles-Édouard se fixe à Paris. Jules s'inscrit à la faculté de droit. Au lendemain du coup d'État, il s'enflamme pour Valette, son maître préféré, qui a lancé aux policiers : « J'ai deux titres à être arrêté aujourd'hui : je suis représentant du peuple et professeur de droit. » Ce qu'il a vu et entendu alors, Ferry ne l'oubliera jamais. Préoccupé d'assurer son indépendance à l'égard du nouveau pouvoir, le 20 décembre 1851, jour même du plébiscite, il s'inscrit au barreau de Paris. À la Conférence Molé, la plus ancienne des associations de juristes qui se proposent d'étudier les institutions françaises, et deviennent, de ce fait, un vivier de ministres, il s'affirme peu à peu comme l'un des chefs de file de la jeunesse républicaine. Il réunit tous les traits d'une culture où se mêlent les idées de Kant et de Condorcet, d'Auguste Comte (mort en 1853), de Stuart Mill, de Michelet et de Renan ; les voix des grands proscrits, Hugo, bien sûr - Ferry savait par cœur les Châtiments -, et Edgar Quinet ; mais aussi la poésie, la peinture et la musique romantique.
L'entrée en politique.
• Charles-Édouard meurt en 1856, et laisse une fortune qui permet à Jules de se consacrer de plus en plus activement à la politique. En ces temps où la presse, quoique étroitement surveillée, gagne chaque jour en influence sur l'opinion, il se révèle un polémiste de premier ordre. En 1864, sa condamnation au procès des « Treize » - treize opposants poursuivis au motif d'association illicite - le hisse au premier rang de l'état-major républicain. À la fin de 1865, il entre au journal le Temps. La série d'articles qu'il publie de décembre 1867 à mai 1868 sous le titre les Comptes fantastiques d'Haussmann, où il s'en prend à l'administration du préfet et, en particulier, au financement des grands travaux que celui-ci dirige dans Paris, lui assure un début de notoriété. On commence alors, note Maurice Reclus, à reconnaître l'homme aux grands favoris noirs - signe distinctif tant exploité, plus tard, par les caricaturistes.
Après avoir conquis de haute lutte la 6e circonscription de Paris aux élections législatives de 1869, il manifeste dans son opposition au régime une fermeté qui n'a d'égale que sa clairvoyance. Conscient de la menace que fait peser sur l'équilibre européen la défaite de l'Autriche à Sadowa, en 1866, il rompt avec son ami Émile Ollivier lorsque celui-ci se rallie à l'Empire libéral et se lance « d'un cœur léger » dans la guerre contre la Prusse. Combattant de la liberté, patriote rigoureux, Ferry se montre aussi, à partir du 4 septembre 1870, homme d'ordre et d'autorité. « Porté », suivant son propre mot, du Palais-Bourbon à l'Hôtel de Ville, aux côtés de Gambetta, pour y proclamer la République, il fait écarter du gouvernement de la Défense nationale les démagogues extrémistes. À partir de novembre, il cumule les fonctions de maire et de préfet de Paris. Du pouvoir il ne connaît d'abord que les charges les plus ingrates et l'impopularité. Sa première tâche, en effet, consiste à assurer le ravitaillement et le maintien de l'ordre. De là le surnom « Ferry-Famine », qui lui restera.