expression désignant l'hiver de 1709, qui impressionna les contemporains par sa rigueur, ainsi qu'en témoignent les nombreuses mentions dans les registres paroissiaux, les livres de raison ou les correspondances administratives.
Dès l'automne 1708, des gelées annoncent un hiver précoce. Mais le Grand Hiver commence véritablement « aux Rois », le 6 janvier 1709 : une vague de froid d'une intensité inhabituelle s'abat sur l'ensemble du pays et, pendant près de trois semaines, des températures inférieures à -10 oC, descendant parfois jusqu'à - 20 oC, sévissent. La désolation est générale : rivières et côtes prises par les glaces ; faune décimée ; vignes et arbres - noyers, châtaigniers et oliviers notamment - détruits ; et, surtout, blés gelés dans le sol. Pour conjurer la famine qui menace, une déclaration royale du 27 avril enjoint d'ensemencer « en orge, bled-sarrazin ou autres espèces de grains convenables à la saison présente ». Grâce à une conjonction de facteurs favorables, la récolte d'orge est toutefois exceptionnelle. Cela n'écarte pourtant pas la famine, que la seule rareté des grains ne suffit pas à expliquer. Ceux qui disposent de réserves (les « usuriers du grain », selon le procureur d'Aguesseau) les retiennent, alimentant une « cherté », qui, compte tenu de la médiocrité de la récolte de 1708, avait fait sentir ses effets dès l'automne précédent. Ainsi, à Gonesse, au nord de Paris, le prix du setier de froment (156 litres), égal à 10 livres en 1708, atteint 70 livres en octobre 1709, à l'époque des semailles. Le prix des orges, malgré leur abondance, passe de 5 à 40 livres.
C'est cette « cherté » qui, en rendant le prix du pain prohibitif, plonge dans la misère une grande partie de la population, déjà éprouvée par la guerre de la Succession d'Espagne. Paysans, artisans, ouvriers vont par milliers grossir le nombre déjà élevé des « errants ». En quête de moyens de survie, refoulés des villes où ils ont cru trouver refuge et pitance, ces miséreux se jettent sur n'importe quelle nourriture : herbes, racines, « pain de fougère », voire charognes... À la fin de l'été 1709 et jusqu'en 1710, les maladies - dysenterie, scorbut, rougeole, variole - frappent ces organismes mal nourris, provoquant une brutale hausse de la mortalité, tandis que la natalité chute. Au total, selon les estimations de Marcel Lachiver, le froid, la faim et la maladie auraient provoqué la mort de 630 000 individus. Et, si l'on tient compte du déficit des naissances, les pertes consécutives au Grand Hiver dépasseraient le million.
Si cet épisode a marqué la mémoire collective, il n'est pourtant ni la seule ni la plus grave des « mortalités » que la France ait connues sous l'Ancien Régime : la crise de 1693-1694 a entraîné des pertes encore plus lourdes (1,5 million de morts). Mais l'hiver de 1709 s'inscrit dans la série des « années de misère » du « tragique XVIIe siècle », ponctuées de mauvaises récoltes imputables au « petit âge glaciaire » que traverse alors l'Europe. Les historiens sont partagés quant à l'origine alimentaire de ces grandes « mortalités ». Pourtant, la chronologie de la crise de 1709 suggère que c'est bien, sinon la rareté, du moins le prix élevé des subsistances qui est à l'origine de l'hécatombe ; à quoi s'ajoutent les maladies endémiques et les « malheurs de la guerre ». Une conjugaison de calamités que les contemporains exprimaient dans leurs prières : A peste, fame et bello libera nos Domine ! (« De la peste, de la faim, de la guerre, délivre-nous, Seigneur ! »).