monument métallique érigé à partir de janvier 1887 par les ateliers Eiffel, à l'extrémité du Champ-de-Mars de Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1889.
Personnification de l'« art de l'ingénieur moderne », la tour Eiffel appelle d'abord les chiffres : près de 4 000 dessins et plans divers, quelque 18 000 pièces de métal, 2,5 millions de rivets, une hauteur de 300,65 mètres (320 mètres aujourd'hui), une masse de 9 700 tonnes (dont 7 300 tonnes pour la partie métallique), etc. Le coût du chantier s'éleva à 8 millions de francs d'alors, dont 1,5 de subventions de l'État, le reste étant apporté par la Société de la Tour Eiffel - détenue à égalité par Gustave Eiffel et par un consortium bancaire -, à laquelle fut concédée l'exploitation du monument pour une durée de vingt ans. Triomphal l'année de son inauguration (près de 2 millions de visiteurs pour les six premiers mois), le succès populaire retomba vite (moins de 150 000 à l'aube du XXe siècle). Dans le même temps, l'existence de la Tour était menacée, et Eiffel dut s'attacher à en démontrer l'utilité scientifique - station météorologique, mesures spectroscopiques, anémométrie, etc. - pour éviter qu'elle ne retourne à l'état de ferraille.
C'était revivre le débat qui avait, à l'origine, suscité l'opposition des artistes et des architectes contre « l'inutile et monstrueuse tour » : « squelette de beffroi » (Verlaine), « lampadaire véritablement tragique » (Léon Bloy), c'est à une « cheminée d'usine » qu'elle fut le plus souvent comparée. Comparaison résumant l'ensemble des griefs qui lui étaient adressés en ce qu'elle signifiait, tout à la fois, l'irruption au sein de la monumentalité gothique et classique parisienne d'une modernité de rupture, l'écrasement de Notre-Dame de la Cité par celle que Huysmans baptisera dérisoirement « Notre-Dame de la Brocante », l'assomption de la « liturgie du capital » au service d'une bourgeoisie républicaine fêtant à travers elle son centenaire. En fait, la Tour cristallisait tous les motifs de rejet - esthétiques, spirituels, idéologiques - de l'époque qui l'avait vue naître, au nom d'un passé recomposé comme un mythique âge d'or. Rien d'étonnant, dès lors, qu'elle ait fasciné les avant-gardes qui, d'Apollinaire aux surréalistes, de Chagall à Delaunay, ont vu en elle une œuvre offerte à toutes les interprétations formelles et à tous les fantasmes.
Ayant démontré tout à la fois son esthétique à travers « sa beauté propre » (Eiffel) et son utilité (patriotique pendant la Grande Guerre ; publicitaire pour Citroën, de 1925 à 1936 ; résistante sous l'Occupation, les ascenseurs ayant été sabotés ; technique, avec l'installation d'un relais hertzien), la tour Eiffel s'inscrit désormais dans l'intemporalité d'un paysage qu'elle regarde autant qu'il la regarde.