Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Tour de France, (suite)

Mais le succès populaire, non démenti, tient à autre chose qu'à une organisation impeccable : à la capacité du Tour de se faire légende, de produire des mythes. Campés en héros par Albert Londres, les « forçats de la route » se confrontent d'abord aux éléments, avant de s'affronter entre eux selon une dramaturgie presque trop bien réglée, et qui intègre même les coups du destin. Lecture homérique qui distribue les rôles autant que les prix et fait du Tour une mythologie tout à la fois nationale - saluant dans son parcours les hauts lieux du patrimoine, il en devient l'élément fédérateur - et universelle.

Tour de la France par deux enfants (le),

ouvrage pédagogique de G. Bruno (pseudonyme d'Augustine Fouillée [1823-1923]), publié en 1877 chez Belin.

Ce qui était, à l'origine, un « livre de lecture courante » pour le cours moyen s'est transformé en objet patrimonial témoignant d'un moment du savoir et de sa transmission. Usant des ressources du roman populaire - édulcoré, public enfantin oblige, des figures du Mal -, Mme Fouillée lance sur les routes de France deux jeunes Lorrains en quête de famille, au lendemain de la défaite face à l'Allemagne. La fiction sert ici de support à un projet pédagogico-civique : « faire voir et toucher » le pays par les enfants de la IIIe République, afin qu'ils l'aiment et le servent. D'où, redoublant le récit, tout un ensemble de documents (cartes de régions, bustes des grands hommes, dessins techniques) qui assimilent l'ouvrage à une encyclopédie. D'où, aussi, l'exploitation de la forme du récit de voyage : diversités et particularismes régionaux ne sont rappelés que parce qu'ils se fondent dans l'idée unificatrice de patrie. D'où, enfin, ces maximes de morale générale placées en exergue des chapitres - « Rien ne soutient mieux notre courage que la pensée du devoir à remplir » - et qui achèvent de faire de ce Tour de la France un véritable catéchisme, laïque mais consensuel. Il fut vendu à trois millions d'exemplaires dans les dix années suivant la première édition.

tour Eiffel,

monument métallique érigé à partir de janvier 1887 par les ateliers Eiffel, à l'extrémité du Champ-de-Mars de Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1889.

Personnification de l'« art de l'ingénieur moderne », la tour Eiffel appelle d'abord les chiffres : près de 4 000 dessins et plans divers, quelque 18 000 pièces de métal, 2,5 millions de rivets, une hauteur de 300,65 mètres (320 mètres aujourd'hui), une masse de 9 700 tonnes (dont 7 300 tonnes pour la partie métallique), etc. Le coût du chantier s'éleva à 8 millions de francs d'alors, dont 1,5 de subventions de l'État, le reste étant apporté par la Société de la Tour Eiffel - détenue à égalité par Gustave Eiffel et par un consortium bancaire -, à laquelle fut concédée l'exploitation du monument pour une durée de vingt ans. Triomphal l'année de son inauguration (près de 2 millions de visiteurs pour les six premiers mois), le succès populaire retomba vite (moins de 150 000 à l'aube du XXe siècle). Dans le même temps, l'existence de la Tour était menacée, et Eiffel dut s'attacher à en démontrer l'utilité scientifique - station météorologique, mesures spectroscopiques, anémométrie, etc. - pour éviter qu'elle ne retourne à l'état de ferraille.

C'était revivre le débat qui avait, à l'origine, suscité l'opposition des artistes et des architectes contre « l'inutile et monstrueuse tour » : « squelette de beffroi » (Verlaine), « lampadaire véritablement tragique » (Léon Bloy), c'est à une « cheminée d'usine » qu'elle fut le plus souvent comparée. Comparaison résumant l'ensemble des griefs qui lui étaient adressés en ce qu'elle signifiait, tout à la fois, l'irruption au sein de la monumentalité gothique et classique parisienne d'une modernité de rupture, l'écrasement de Notre-Dame de la Cité par celle que Huysmans baptisera dérisoirement « Notre-Dame de la Brocante », l'assomption de la « liturgie du capital » au service d'une bourgeoisie républicaine fêtant à travers elle son centenaire. En fait, la Tour cristallisait tous les motifs de rejet - esthétiques, spirituels, idéologiques - de l'époque qui l'avait vue naître, au nom d'un passé recomposé comme un mythique âge d'or. Rien d'étonnant, dès lors, qu'elle ait fasciné les avant-gardes qui, d'Apollinaire aux surréalistes, de Chagall à Delaunay, ont vu en elle une œuvre offerte à toutes les interprétations formelles et à tous les fantasmes.

Ayant démontré tout à la fois son esthétique à travers « sa beauté propre » (Eiffel) et son utilité (patriotique pendant la Grande Guerre ; publicitaire pour Citroën, de 1925 à 1936 ; résistante sous l'Occupation, les ascenseurs ayant été sabotés ; technique, avec l'installation d'un relais hertzien), la tour Eiffel s'inscrit désormais dans l'intemporalité d'un paysage qu'elle regarde autant qu'il la regarde.

tournoi,

combat équestre ritualisé pratiqué au Moyen Âge. Né en France vers le milieu du XIe siècle, le tournoi, simulacre de combat, est autant un entraînement militaire qu'un jeu.

À l'origine, le tournoi se distingue peu de la guerre, dont il emprunte les armes, les techniques et les tactiques ; il oppose, dans de grandes mêlées, deux petites armées qui bataillent dans un vaste espace comprenant villes, châteaux et campagnes. Cependant, la présence d'une zone de sécurité permet aux participants de se replier pour prendre du repos ou soigner leurs blessures : le but est non pas de tuer mais de capturer, de s'enrichir par la prise d'un butin ou grâce aux rançons, et de briller par des exploits individuels. Le tournoi, très en vogue au XIIe siècle, correspond à un changement profond des techniques guerrières, qui voit la naissance d'une cavalerie d'élite, pièce maîtresse de la guerre ; il s'agit alors de s'exercer à maintenir la cohésion des charges collectives à cheval.

À maintes reprises, l'Église condamne ces jeux violents, souvent meurtriers, où soif de gloire et appât du gain se donnent libre cours. En 1139, le pape Innocent II décide même de priver de sépulture chrétienne ceux qui meurent en tournoi. Peine perdue : chevaliers et spectateurs se ruent aux tournois, les chevaliers pauvres surtout, qui peuvent espérer, à l'issue des combats, être recrutés dans l'armée d'un prince ou d'un haut baron, voire épouser une riche héritière. Mais ce moyen de promotion sociale n'est plus de mise dès la seconde moitié du XIIIe siècle. La participation aux tournois est alors très coûteuse, tandis que la chevalerie est réservée à une élite et que la caste aristocratique se forme et se ferme. Aux XIVe et XVe siècles, prix, rançon et butin ont disparu, et le tournoi devient une pratique mondaine, codifiée, où les familles aristocratiques se défient avec des armes émoussées, dites « courtoises ». Les mêlées, se déroulant désormais en « champ clos », sont concurrencées par les joutes, moins meurtrières, où seuls deux combattants s'affrontent à la longue lance, dans un espace réduit, fermé par des palissades (les lices). Bien souvent, au XVe siècle, les tournois ne sont plus que des cérémonies où dominent le faste et l'ostentation, permettant à l'aristocratie d'afficher sa puissance. Sous l'influence de la littérature et des romans courtois, la noblesse se forge dans ces réunions un passé mythique et célèbre une chevalerie idéalisée. La mort du roi Henri II, tué en 1559 lors d'une joute, sonne le glas du tournoi en France.