Lusignan, (suite)
Puissants barons du royaume de France, les Lusignan jouent habilement du fait que leurs domaines sont situés dans les fiefs des Plantagenêts, faisant appel tantôt au roi de France, tantôt au roi d'Angleterre. Ainsi, Hugues IX parvient-il à récupérer le comté de la Marche - passé dans la famille de Montgomery et vendu au roi d'Angleterre Jean sans Terre - grâce à Philippe Auguste. Il y perd sa fiancée, Isabelle Taillefer, enlevée par le Plantagenêt ; Angoulême reviendra aux Lusignan une génération plus tard, quand la même Isabelle épousera Hugues X.
En Orient, la fortune sourit aux frères d'Hugues IX. Le plus jeune, Gui de Lusignan, épouse en secondes noces Sybille (1180), sœur du roi Baudouin IV le Lépreux et mère de Baudoin V ; à la mort de ces derniers - respectivement en 1185 et en 1186 -, il est associé au trône de Jérusalem par Sybille, devenue reine. Son intelligence médiocre semble expliquer le désastre de Hattin (1187), qui ouvre à Saladin les portes du royaume de Jérusalem. Récusé par les barons, Gui est fait roi de Chypre, récemment con-quise par Richard Cœur de Lion (1192). Son frère Amaury II lui succède deux ans plus tard, et reprend la couronne de Jérusalem en 1197. Tous les prétendants ultérieurs au titre tiennent leurs droits des Lusignan.
Sous les Lusignan, Chypre devient une nouvelle puissance, vitale pour l'Orient latin, base des croisades tardives. Le royaume atteint son apogée au milieu du XIVe siècle, alors que la branche aînée de la famille s'est éteinte. En 1308, en effet, Yolande, la dernière héritière directe de la seigneurie après la mort de ses frères Hugues XIII et Gui, vend toutes les terres de la famille au roi de France Philippe le Bel. En Orient, les Lusignan conservent Chypre jusqu'en 1489, date à laquelle l'île est vendue à Venise.
Au destin déjà exceptionnel de cette famille, la légende ajoute l'histoire merveilleuse de la fée Mélusine, qui construit villes et châteaux, dont celui de Lusignan, et se transforme en sirène un jour par semaine. La transgression du tabou - après l'avoir surprise pendant sa métamorphose, son mari ne peut la voir ce jour-là - et le thème du mortel marié à une déesse de la fécondité - Mélusine a dix enfants - renvoient, selon l'historien Jacques Le Goff, à un avatar médiéval de la déesse-mère.