sociétés savantes de province, très brillantes au XVIIIe siècle.
Au milieu du XVIIIe siècle, l'Académie française, symbole de la mainmise monarchique sur la culture, est peu à peu gagnée par les idées des Philosophes. À partir de l'élection de Jean d'Alembert, en 1754, la société s'ouvre à l'esprit du temps. En 1760, un discours de l'académicien Lefranc de Pompignan dénonçant les Philosophes et leur « liberté cynique » soulève une tempête : une vague de brochures et de pamphlets submerge le défenseur de la religion traditionnelle. Les Philosophes exploitent cette victoire acquise devant le tribunal de l'opinion, et, en dix ans, de 1760 à 1770, sur quatorze élections en emportent neuf, dont celle de Marmontel. Une institution qui sommeillait est devenue en quelques années l'un des fers de lance de la sociabilité éclairée. Suivant ce modèle, la vie académique française se renouvelle.
Ce sont d'abord les autres institutions parisiennes qui se font l'écho de l'esprit nouveau : l'Académie royale des sciences tient sa place sur le devant de la scène intellectuelle, sous l'impulsion de Fontenelle, Maupertuis, Réaumur ; l'Académie des inscriptions et belles-lettres, réformée en 1701, acquiert un rôle essentiel dans le renouvellement des travaux historiques, archéologiques, linguistiques, abordant des sujets souvent très sensibles qui figurent au cœur des intérêts philosophiques.
Le creuset des nouvelles élites.
• L'emprise des Lumières s'étend enfin à la France entière, grâce au réseau des académies de province : il s'agit sans doute là de l'un des phénomènes culturels les plus importants du siècle, ainsi que l'a montré Daniel Roche dans une thèse pionnière publiée en 1978 (le Siècle des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789). On recense ainsi 9 académies provinciales en 1710 ; 24 en 1750 ; plus de 40 en 1770. Les trois quarts des villes de plus de 20 000 habitants en sont dotées. Sociétés de savants placées sous la protection des autorités publiques, elles sont fondées, le plus souvent, sur le modèle des académies parisiennes. L'honneur d'en être élu membre est très recherché. Le recrutement social y rassemble les notables municipaux et fait siéger, côte à côte, les représentants de la noblesse urbaine, de la bourgeoisie industrieuse en pleine ascension sociale, et certains clercs et érudits locaux. L'académie devient vite, à l'échelle régionale, « l'instance privilégiée du compromis social, le banc d'essai d'une tentative de fusion où le savoir-faire bourgeois et le savoir-faire nobiliaire s'associent dans une idéologie réconciliatrice de service et de gestion » (D. Roche).
Après 1750, nombre de ces académies intègrent à leurs travaux une dimension scientifique : les discours, les poèmes, les traités, reculent devant les mémoires de physique ou de chimie, les plans d'agriculture, les ouvrages d'histoire naturelle. Ce triomphe des sciences fournit un autre indice du poids qu'ont pris ces académies dans la culture du temps : l'esprit d'observation et d'expérimentation gagne partout du terrain. En revanche, les académies de province n'entendent guère le discours politique : elles vouent un culte au monarque et ne sont pas le lieu d'un conflit ou d'une réaction politiques contre la royauté.
Leur réputation est généralement liée aux prix, fort courus, qu'elles décernent. L'on sait, par exemple, le rôle tenu par l'académie de Dijon dans la carrière de Rousseau en proposant, au concours, de savoir « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs ». Ainsi vit le jour le Discours sur les sciences et les arts, couronné en 1750, révélation publique d'un nouveau philosophe. Ce genre de compétition culturelle forme d'ailleurs une partie des futurs cadres révolutionnaires. Robespierre, Cerutti, Roland de La Platière, l'abbé Grégoire, pour ne citer qu'eux, ont suivi les étapes de cette sociabilité provinciale qui apparaît, malgré sa rhétorique monarchiste, comme l'un des creusets privilégiés des nouvelles élites du pays.