terme générique désignant des opuscules destinés à un public populaire. Ces livrets sont de petite taille et comptent quelques feuillets, imprimés à moindre frais sur du mauvais papier, brochés sans grand soin et sous une couverture bleue, la couleur du pauvre.
Les origines troyennes.
• Vers 1600, Nicolas Oudot, voulant se libérer du centralisme de l'édition parisienne et conscient du succès des canards, installe une imprimerie à Troyes afin de publier des brochures destinées au plus grand nombre. Son rapide succès donne naissance à une dynastie, qui tisse des alliances avec d'autres imprimeurs, depuis Paris jusqu'à Reims. Les opuscules sont vendus par un réseau de colporteurs (45 en 1620 ; 120 en 1712). Ils touchent d'abord les cités du Nord-Ouest, les plus alphabétisées, puis, à partir du XVIIIe siècle, les campagnes. Au milieu du XIXe siècle, on évalue la production à neuf millions de brochures par an. La littérature de colportage ne disparaît qu'à la fin du XIXe siècle, détrônée par le « journal à un sou ».
Un débat historiographique.
• À la fin des années soixante, par les polémiques qu'elle suscite sur la notion de culture populaire, la bibliothèque bleue devient un symbole de l'histoire des mentalités. À partir d'un échantillon de 450 titres imprimés à Troyes en 1722, Robert Mandrou définit l'horizon culturel des milieux populaires sous l'Ancien Régime. L'homme est déterminé par les humeurs et les astres, qui le soumettent à la tyrannie des passions. D'où les vies de saints qui exaltent le triomphe de la piété en contrepoint du dérèglement charnel de l'amour féminin. Se développe ensuite un didactisme chrétien scandé par des recommandations pratiques pour le salut de chacun (assistance à la messe, participation aux pèlerinages et aux processions, audition du sermon et récitation régulière du credo). Néanmoins, l'omniprésence des miracles témoigne de la toute-puissance d'un dieu de proximité. Le merveilleux naturel rejoint le religieux miraculeux. Alors que les découvertes scientifiques se multiplient, la bibliothèque bleue reste le reflet d'un savoir médiéval et de la Renaissance, où dominent les recettes magiques pour maîtriser le surnaturel, inclus dans l'ordre naturel des choses. Enfin, une société tripartite est dessinée : les dangereux marginaux (brigands, soldats ou sorcières), capables d'une justice compensatrice susceptible de plaire aux pauvres gens ; le petit peuple, dont le sort n'est pas enviable ; la noblesse chevaleresque du légendaire historique. Cette somme hétéroclite de romans épiques, de traités d'alchimie, d'almanachs ou de récits hagiographiques apparaît donc comme une littérature d'évasion, reflet d'un monde fixiste et détaché des réalités sociales.
Cependant, les propositions de Mandrou ont été par la suite nuancées. Ainsi, selon Geneviève Bollème, la bibliothèque bleue évolue au XVIIIe siècle vers le réel, le concret et l'humain. Le féerique cède le pas aux préoccupations plus utilitaires, historiques et d'actualité. Le lectorat s'élargit à l'ensemble de la société, jusqu'aux élites qui dissimulent ces pratiques de lecture dans le fond des cuisines. D'après Roger Chartier, les auteurs, souvent les ouvriers imprimeurs des ateliers, puisent les textes dans un fonds savant archaïque qu'ils récrivent. Ils obéissent alors aux critères de lisibilité (découpage en chapitres et paragraphes), intellectuels (simplification et élagage des récits) et moraux (censure des allusions scatologiques, sexuelles et anticléricales). Enfin, selon Henri-Jean Martin, il existe une interaction entre la civilisation écrite et orale. Les contes de Perrault, tels qu'ils sont transmis oralement, sont en réalité - pour la plupart d'entre eux - une version écrite et édulcorée d'une ancienne tradition populaire.
Somme toute, la bibliothèque bleue est à la fois un instrument d'intégration du peuple à la « galaxie Gutemberg » et un objet de différenciation sur la longue durée, entre une culture savante et une culture populaire rejetée (Robert Muchembled). Si bien que les livrets ont été dénoncés par les élites révolutionnaires comme des « contes à dormir debout ».