Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
G

gauche (suite)

De la dispersion à l'unité.

• Cependant, le mouvement reprend sous la IIIe République, mais d'abord dans la dispersion. Le marxisme s'introduit en France, avec Jules Guesde. Nombre d'anciens blanquistes, autour d'Édouard Vaillant, se rapprochent de lui. Le réformisme inspire les partisans de Paul Brousse et la plupart des « indépendants », tandis que la tradition communaliste, anti-autoritaire, se maintient autour de Jean Allemane. Le syndicalisme s'organise de façon autonome, en dehors de toutes ces « sectes », mais subit en partie, à la fin du XIXe l'influence de l'anarchisme : c'est le syndicalisme révolutionnaire, ou l'anarcho-syndicalisme, confiant dans les vertus de la grève générale pour jeter bas le capitalisme. En 1905, le socialisme politique, après bien des vicissitudes, parvient à s'unifier dans la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO), sous le signe du marxisme. Jean Jaurès s'efforce, non sans succès, de réaliser une synthèse entre celui-ci et la tradition républicaine française : ainsi naît le « réformisme révolutionnaire ». En 1914, la SFIO est solidement implantée dans les grandes agglomérations industrielles et dans certaines campagnes « rouges » du Centre et du Midi, mais elle ne rassemble que 17 % des voix (34 % pour le Parti social-démocrate allemand).

La scission.

• La Première Guerre mondiale, la vague révolutionnaire soulevée par l'exemple russe de 1917, la défaite électorale de la SFIO en 1919 et l'échec en 1920 des grèves conduites par la CGT entraînent, à Tours, en décembre 1920, une scission décisive. La rivalité parfois très âpre, entre un parti communiste tourné vers Moscou, léniniste, bientôt stalinien, et un parti socialiste demeuré fidèle au marxisme, mais fortement ancré dans la république parlementaire, va marquer pour des décennies l'histoire de la gauche française. Les périodes d'alliance - parfois conflictuelle - sont rares : 1934-1938 avec le Front populaire, 1944-1947 au lendemain de la Libération, et, non sans interruptions, 1965-1984, puis à nouveau de 1997 à 2002.

Le PCF : de l'apogée au déclin.

• Renforcé lors du Front populaire par sa réinsertion dans la tradition jacobine et par le dynamisme de ses militants, fort du prestige acquis par ceux-ci dans la Résistance, le Parti communiste français (PCF) atteint son apogée en 1944-1947 (avec plus de 28 % des voix aux élections de novembre 1946) et le soutien de près de la moitié de la classe ouvrière, dont il se réclame. Il se stabilise ensuite, rassemblant plus de 25 % des voix pendant toute la fin de la IVe République, et de 20 à 22,4 % (hormis une baisse sensible à 19,2 % en 1958) sous la Ve République, jusqu'en 1978. Les élections de 1981 marquent, cependant, son déclin : il n'obtient qu'un peu plus de 16 % aux législatives de juin. En effet, le parti est victime de ses liens étroits avec le totalitarisme soviétique, de l'effritement de sa base sociale - paysannerie pauvre des anciennes campagnes « rouges », prolétariat industriel - et, pendant quelques années, de la double concurrence d'une extrême gauche (surtout trotskiste) révélée par les événements de 1968 et d'un Parti socialiste rénové. Électoralement, il est ramené, à partir de 1986, à son niveau de 1924-1932 (environ 10 % des voix).

Le parti socialiste, de Léon Blum à François Mitterrand.

• Premier parti de la gauche dans les années trente, la SFIO est proche, sur le plan doctrinal, de la social-démocratie allemande ou scandinave, mais elle ne dispose pas de liens aussi solides avec un syndicalisme très jaloux de son indépendance, ni avec la classe ouvrière. Le Front populaire lui permet d'exercer le pouvoir en 1936 (Léon Blum dirige le gouvernement durant plus d'un an). Nettement dépassée par le PCF après la guerre, la SFIO s'engage alors, à l'époque de la Troisième Force (1947-1951), dans une politique de gestion aux côtés du centre droit et de la droite. Elle traverse une période de déclin, que la guerre d'Algérie accélère, et c'est en dehors d'elle, au Parti socialiste unifié (PSU) et dans les Clubs, que s'esquisse, au cours des années soixante, une rénovation du socialisme démocratique. L'essor du nouveau Parti socialiste (PS), créé en 1971, sous la direction de François Mitterrand, s'explique par une unification partielle (avec la Convention des institutions républicaines), par l'adhésion de nombreux catholiques formés à la CFDT, par le choix d'une stratégie claire d'union de la gauche, et d'un projet différant à la fois du collectivisme bureaucratique et d'un réformisme timide ; enfin, par une convergence avec les classes moyennes salariées déçues par le gaullisme puis le giscardisme. En 1981, après une double victoire présidentielle et législative, c'est à nouveau l'épreuve du pouvoir : à l'issue d'importantes réformes, le projet socialiste se brise sur les dures réalités de la crise et de la mondialisation. Le parti se rallie alors plus nettement à l'économie de marché, et connaît un nouveau déclin électoral (moins de 18 % des voix en 1993, contre plus de 37 % en 1981, près de 32 % en 1986, et 37 % en 1988) et le retour dans l'opposition. La percée effectuée au cours des années soixante-dix et quatre-vingt dans les professions intermédiaires, parmi les employés et au sein de la classe ouvrière, n'est cependant pas durablement compromise, comme l'atteste la victoire aux élections législatives du printemps 1997.

La nouvelle expérience du pouvoir, marquée par un rassemblement des partis de gauche sous le nom de « gauche plurielle » (verts, radicaux, PS et PCF et MDC de Jean-Pierre Chevènement), se solde par une défaite en 2002. Cette défaite est due principalement à une politique économique qui a déçu son électorat par sa trop grande adaptation à l'économie de marché. L'échec est d'autant plus amer qu'une partie des voix de gauche s'est reportée sur l'extrême gauche, empêchant ainsi Lionel Jospin d'atteindre le second tour.

Les spécificités de la gauche

Tandis que l'histoire de la droite française peut être placée sous le signe de la continuité des grandes tendances (traditionalisme, orléanisme et bonapartisme), celle de la gauche est longtemps marquée par des processus de substitution. Les courants qui avaient atteint leurs objectifs, ou renoncé à certains d'entre eux, se sont rangés dans le camp de l'ordre établi, mais ils ont été remplacés par d'autres forces, qui ont poursuivi leur combat, ou se sont proposé de nouvelles conquêtes. Ainsi, le libéralisme orléaniste, devenu conservateur après la défaite des ultras, a-t-il été relayé par le libéralisme démocratique du parti du Mouvement et des républicains modérés de 1848 et de 1880. Ces derniers, passés à droite, à leur tour, entre 1895 et 1914, ont vu leur place occupée par un radicalisme plus égalitaire, qui, devenu lui-même en majorité conservateur, s'est effacé devant le socialisme, longtemps porteur d'un projet de dépassement du système capitaliste. On pouvait même penser, après 1945, que le socialisme - en fait réformiste - de la SFIO se verrait supplanté par le communisme révolutionnaire. Toutefois, ce « sinistrisme » - glissement à droite avec l'apparition de nouvelles forces à gauche -, caractéristique de la gauche française, n'a pas persisté dans la seconde moitié du XXe siècle : le communisme, bien loin de marginaliser le PS ou de le refouler à droite, a dû lui céder à nouveau le premier rang, et l'extrême gauche, active en 1968, est demeurée très minoritaire.