Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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protestants (suite)

Cependant, à partir de 1791, les huguenots vont se trouver très divisés (tout en demeurant hostiles à l'Ancien Régime), la bourgeoisie protestante étant, en général, plutôt girondine. Durant la Terreur et la déchristianisation (1793-1794), en bien des lieux, toute célébration de culte est interdite ; mais, à la différence de ce qui se passait avant 1789, les protestants sont désormais placés sur le même plan que les catholiques. Toutefois, cette période d'interdiction dure peu. Quant au Directoire, qui instaure un régime de liberté religieuse, avec égalité entre les cultes et séparation des Églises et de l'État, il satisfait, pour l'essentiel, les aspirations des huguenots. Dans plus d'une localité, la réorganisation et la reprise régulière des cultes ne s'effectuent pas facilement, mais, dans la mémoire collective des protestants, la Révolution reste synonyme de liberté et d'égalité.

Le régime concordataire (1802-1905).

• En 1801, Bonaparte, qui entend achever la Révolution tout en préservant les acquis de celle-ci, signe un concordat avec le pape. Il y ajoute, en 1802, des « articles organiques », dont une partie accorde une reconnaissance légale aux « cultes protestants », réformé et luthérien. Cette loi présente des avantages : au même titre que les prêtres, les pasteurs sont rémunérés par l'État, qui prend aussi à sa charge le fonctionnement des Églises protestantes et leur attribue un certain nombre de chapelles catholiques désaffectées pour que les protestants puissent célébrer leur culte là où les bâtiments ont été détruits en 1685. Toutefois, cette législation, qui n'a pas été négociée mais imposée par Bonaparte, présente un grave défaut du point de vue réformé : elle ne reconstitue pas le régime synodal, l'État ne reconnaissant que les « Églises consistoriales » (groupe de paroisses correspondant à l'ancien colloque). Ainsi, aucune autorité doctrinale n'est reconnue aux Églises réformées, qui demeurent un corps sans tête, le statut des Églises luthériennes étant différent car elles possèdent un consistoire général et un directoire siégeant à Strasbourg, ce qui permet le maintien de leur cohésion. Tant que les huguenots restent assez unis, la situation n'a rien de délicat ; mais elle se compliquera en cas de divergences dogmatiques, car aucun organisme réformé n'est alors habilité à trancher un débat doctrinal. Sur le moment, toutefois, avec cette reconnaissance officielle, gage de liberté et d'égalité, la satisfaction l'emporte.

Sous l'Empire, les protestants mènent une vie ordinaire, partageant les vicissitudes et les choix politiques de leurs concitoyens. Lassés également par les guerres continuelles, ils accueillent la Restauration et l'accession au trône d'un descendant de Louis XIV sans craintes particulières. Pourtant, les massacres de la Terreur blanche, qui font plus d'une centaine de morts et des milliers de blessés parmi les huguenots du Gard, en 1815, rendent les protestants durablement hostiles aux adversaires de l'œuvre de la Révolution, et favorables à la gauche politique. Par ailleurs, la méfiance envers la monarchie demeure. Avec le régime de Juillet, qui affiche sa volonté de promouvoir une société issue des principes de 1789, les relations s'améliorent nettement, et on peut noter la présence de quelques protestants dans les allées du pouvoir. Ainsi, François Guizot, Premier ministre de fait de 1840 à 1848. Mais les préférences des protestants vont à la République, comme en témoigne leur attitude entre 1848 et 1851. Au début du Second Empire, la politique ouvertement cléricale de Napoléon III réveille d'anciennes craintes, jusqu'à la libéralisation en 1860.

C'est cependant l'avènement de la IIIe République qui est le mieux accueilli. On remarque ainsi un nombre significatif de protestants parmi les dirigeants républicains - Waddington, Say, Freycinet, Doumergue, notamment. La République affirme clairement sa volonté de permettre le libre exercice des droits de l'homme et de faire disparaître les derniers vestiges de l'Ancien Régime. En général, les protestants appuient donc les initiatives des républicains, entre autres la mise en place d'une école laïque, gratuite et obligatoire. Et, au début du XXe siècle, la séparation des Églises et de l'État ne provoque aucune hostilité particulière, même si rien n'est fait pour la précipiter ; les protestants acceptent d'ailleurs d'en négocier l'application.

Sur le plan doctrinal, le XIXe siècle est très fécond. Dès le début de la Restauration on assiste à l'épanouissement du Réveil, un mouvement qui, la liberté conquise, entend insuffler aux Églises une vie nouvelle et les lancer à la conquête du monde. Naissent alors de nombreuses institutions, telle la Société des missions, très active tout au long du siècle, tandis que le Réveil diffuse une spiritualité teintée de romantisme. Par ailleurs, le protestantisme se divise autour du débat entre « évangéliques » et « libéraux », induit par la volonté des protestants de s'adresser au monde moderne dans un langage accessible, en tenant compte du nouvel esprit scientifique. Le débat porte sur les conséquences doctrinales qu'il convient de tirer de l'exégèse biblique : les libéraux acceptent une modification plus profonde de la dogmatique, alors que les évangéliques tiennent à conserver l'essentiel des formulations doctrinales traditionnelles, quitte à les interpréter de façon symbolique. En l'absence d'autorité doctrinale chargée de trancher les différends (malgré la réunion d'un synode en 1872), un schisme de fait partage ainsi les Églises réformées à partir de 1879. Il ne se résorbera qu'en 1938. Quant aux Églises luthériennes, elles sont affaiblies par la perte de l'Alsace-Lorraine en 1871.

Les innovations du xx• e siècle.

La séparation des Églises et de l'État, dont les conséquences matérielles sont assez facilement supportées, se traduit par un accroissement des divisions ecclésiastiques. Pour y remédier, décision est prise, dès 1905, de fonder la Fédération protestante de France, confédération ayant pour but de s'exprimer au nom de l'ensemble des protestants. Après des débuts un peu difficiles, cet organisme s'impose progressivement, en particulier pendant la longue présidence du pasteur Marc Bœgner, de 1929 à 1961. Par ailleurs, les Églises, désormais indépendantes de l'État, sont en mesure de retrouver un fonctionnement interne normal, et donc de réunir des synodes, ce qui atténue les divisions. Mais le XXe siècle est aussi caractérisé par la diversification ecclésiale : de nouvelles Églises, parfois d'origine anglo-saxonne, apparaissent. C'est le cas, dans les années 1930, des communautés pentecôtistes, qui donnent aussi naissance, après 1945, à la Mission évangélique des Tsiganes. Concernant l'évolution doctrinale, il faut surtout mentionner, entre 1930 et 1970, l'influence déterminante de la « théologie dialectique » du Suisse Karl Barth, le principal théologien protestant du XXe siècle, connu également pour son opposition absolue au nazisme. Du point de vue de l'organisation interne, la vie des Églises est marquée par une série d'initiatives. On note ainsi l'émergence du christianisme social, mouvement dont les promoteurs veulent adapter le message chrétien à la nouvelle société née de l'industrialisation, et se préoccuper de l'évangélisation de la classe ouvrière. Les huguenots participent également à la vie du protestantisme mondial, en tenant toute leur place dans la fondation et l'animation du mouvement œcuménique international, qui tient de grandes conférences dans l'entre-deux-guerres, puis du Conseil œcuménique des Églises en 1948. Sont également créés des œuvres, des organismes s'adressant à la jeunesse ou à l'ensemble de la société. D'abord chargée de s'occuper des personnes évacuées en 1940, puis des réfugiés, des étrangers et des victimes des mesures antisémites, le Comité intermouvement auprès des évacués (Cimade) oriente aujourd'hui son action vers les sans-abri, les immigrés et les réfugiés politiques.