Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Guesde (Jules Basile, dit Jules), (suite)

Étant parvenu à s'échapper et à se réfugier en Suisse, il y côtoie les milieux anarchistes proches de Bakounine, et lit les textes de Proudhon. À son retour en France en 1876, il se prétend collectiviste, mais connaît encore très mal l'œuvre de Marx. Il n'en fréquente pas moins, à Paris, le café Soufflet, où se réunissent les premiers adeptes français des doctrines marxistes. Il fonde avec eux l'hebdomadaire l'Égalité. Il se fait alors le vulgarisateur des idées de l'auteur du Capital, notamment en rédigeant, en prison, pendant l'hiver 1878-1879, des brochures inspirées du théoricien allemand : Essai de catéchisme socialiste et Collectivisme et révolution.

C'est comme organisateur et homme d'action que s'illustre surtout le remarquable orateur qu'est Jules Guesde. En 1882, se séparant des partisans de Paul Brousse (« broussistes » ou « possibilistes »), il crée son propre parti, le Parti ouvrier, qui prend le nom de « Parti ouvrier français » (POF) en 1893, et appelle, dans les colonnes de l'hebdomadaire le Socialiste, à la révolution par la conquête du pouvoir politique. Dans l'attente de cette révolution de plus en plus improbable, les « guesdistes » s'implantent peu à peu électoralement, surtout dans le nord de la France, où résident environ la moitié des adhérents du POF. En 1893, Guesde est élu député à Roubaix, mais il est battu en 1898 et en 1902. Pendant l'affaire Dreyfus, il se démarque de Jaurès et de plusieurs dirigeants socialistes en refusant de s'engager. Même s'il salue J'accuse de Zola comme « le plus grand acte révolutionnaire du siècle », il affirme, contre son ami Paul Lafargue, que l'Affaire ne concerne que la bourgeoisie. Contrairement à Jaurès, il condamne la participation du socialiste Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau. Ses thèses l'emportent lors de la création de la SFIO en 1905, mais l'ascendant que prend Jaurès - son principal opposant - au sein du parti réduit sensiblement son importance politique. Après la déclaration de guerre, Guesde se rallie à l'Union sacrée ; ce socialiste révolutionnaire devient ministre d'État sans portefeuille, d'août 1914 à décembre 1916, car il considère que la grève générale risquerait de livrer la France aux pays les plus réactionnaires. En 1920, lors du congrès de Tours, il reste fidèle à la « vieille maison » défendue par Léon Blum, refusant, malgré son marxisme intransigeant, la prééminence des bolcheviks depuis un pays où les conditions de passage au socialisme ne lui semblent pas réunies. Son chef disparu, le guesdisme demeure une référence, au fil des décennies suivantes, à l'intérieur du mouvement socialiste.

Guibert de Nogent,

abbé bénédictin (Clermont, Oise, vers 1053-vers 1124).

Benjamin d'une famille de petite noblesse picarde, Guibert est voué dès sa naissance à la vie religieuse. En 1066, il entre à l'abbaye de Saint-Germer-de-Fly (Oise), où il acquiert une éducation de qualité, bénéficiant des conseils d'Anselme du Bec (ou de Canterbury), l'un des plus grands théologiens du temps. Ce n'est qu'en 1104, à plus de 50 ans, qu'il quitte Saint-Germer pour devenir abbé de Nogent-sous-Coucy. Durant les loisirs que lui laisse la direction d'à peine dix moines, il parfait une œuvre abondante mais guère originale, faite de sermons et de commentaires bibliques, et d'une histoire de la première croisade. Le De pignoribus sanctorum, rédigé contre les prétentions d'un monastère de Soissons à détenir une dent du Christ, critique ainsi, au nom d'un idéal de piété intérieure, les abus auxquels donne lieu le culte des reliques.

Mais, si cet abbé ordinaire est passé à la postérité, c'est grâce à son autobiographie, la première de l'Occident chrétien depuis les Confessions de saint Augustin. Dans De vita sua, qu'il a conçu comme une ample confession indispensable à son salut, Guibert de Nogent se montre très attentif aux événements de son temps, notamment aux violents affrontements qui ont entouré la naissance de la commune dans la ville voisine de Laon en 1112. Moraliste conservateur, il désapprouve les changements profonds que connaît, avec le développement des échanges, la société du nord de la France en ce début du XIIe siècle. Enfin, Guibert est obsédé par la tentation de la chair, passionnément attaché à une mère possessive et dévote qui a failli mourir à sa naissance, a été veuve peu après et l'a élevé à l'écart des autres enfants pour se retirer dans un ermitage alors qu'il n'avait que 12 ans. À ce titre, l'autobiographie de ce moine qui n'a presque pas quitté sa région est un témoignage de premier plan concernant les mentalités de la France « féodale », abondamment utilisé par les historiens pour étudier les croyances - relatives aux fées aussi bien qu'aux reliques -, les stratégies matrimoniales ou même les rêves.

Guillaume Ier le Bâtard,

dit le Conquérant, duc de Normandie, sous le nom de Guillaume II, de 1035 à 1087, et roi d'Angleterre de 1066 à 1087 (Falaise, vers 1027 - Rouen 1087).

Fils de Robert le Magnifique et de la concubine de ce dernier, Herleue, Guillaume devient duc à 8 ans. Profitant de son âge et arguant de sa bâtardise, les barons de Basse-Normandie se soulèvent contre lui. Ce n'est qu'en 1047 que Guillaume parvient à rétablir son autorité, à la bataille du Val-ès-Dunes (près de Caen), grâce à l'appui du roi des Francs Henri Ier (1031/1060). Il entreprend tout d'abord de raffermir le pouvoir ducal : il met au pas la noblesse normande, s'appuie sur ses proches et sur des familles d'origine bretonne, flamande ou française, et renforce ainsi son contrôle sur les forteresses et sur les charges comtales et vicomtales. Guillaume poursuit ensuite une politique d'expansion en combattant les ducs d'Anjou, en intégrant la seigneurie de Bellême au duché (1052) et en prenant le contrôle du Maine. En outre, en 1053, il s'allie au comte de Flandre Baudouin V en épousant sa fille, Mathilde. Cet essor lui vaut l'hostilité du roi Henri, dont il bat l'armée à deux reprises, en 1054 et 1057. Enfin, Guillaume assure le renouveau du monachisme en Normandie en soutenant les monastères de Fécamp ou du Bec-Hellouin, et en fondant, avec son épouse, les abbayes de la Trinité (1059) et de Saint-Étienne (1064) de Caen.