chartreux,
moines contemplatifs de l'ordre fondé par saint Bruno en 1084, dans le massif alpin de la Grande-Chartreuse, et qui illustre les aspirations de la vie monastique au XIe siècle.
La spiritualité cartusienne reprend les principes du monachisme bénédictin, mais elle les organise autrement : elle exige un renoncement total au monde, le refus de toute intervention sur la société, et insiste sur l'obéissance, l'humilité, la méditation, la contemplation, la lecture, l'oraison. C'est le cinquième prieur de l'ordre, Guigues (mort en 1137), qui a rédigé les Coutumes, inspirées en partie par la règle de saint Benoît, mais empruntant également à saint Jérôme et à Jean Cassien.
Toute chartreuse est entourée par un « désert », domaine à l'usage exclusif des religieux, qui symbolise leur volonté d'isolement. La vie cartusienne associe érémitisme et cénobitisme. Ce dernier est pratiqué dans la « maison basse » - la correrie - par les convers, qui se consacrent aux travaux nécessaires à l'entretien de la communauté. La « maison haute » abrite les moines, qui pratiquent un érémitisme stable. Les chartreux vivent en « cellule », petite maison dont le rez-de-chaussée est composé d'un bûcher et d'un atelier, tandis que l'étage est réservé à la prière, à la méditation et à la copie des manuscrits. Les moines se réunissent uniquement pour certains offices, lors du repas le dimanche, et pour le chapitre. Tous doivent obéissance au prieur, qui assure la direction matérielle et spirituelle de la communauté.
En 1155 s'est tenu le premier chapitre général, étape initiale dans la constitution d'un ordre qui n'a cessé de renforcer sa centralisation. C'est au XIVe siècle que l'ordre des chartreux compte le plus de monastères. Dispersé en 1792, il se reconstitue en 1816. Puis, en 1903, après l'adoption de la loi sur les congrégations, les moines sont de nouveau expulsés. Ils ne regagnent leur monastère qu'en juin 1940.
chasse.
Héritage des chasseurs-cueilleurs, ce loisir, qui apporte un complément alimentaire, est le reflet de réalités juridiques et culturelles mobilisant les passions et les images nées d'une lente sédimentation.
Le droit romain lie la chasse à la propriété foncière. Le christianisme en fait l'expression de l'empire sur les animaux donné à Adam. Le Moyen Âge carolingien invente la garenne, réserve parfois établie par le souverain sur les terres d'autrui. Cette soustraction au droit commun redouble le statut de la forêt dans l'imaginaire, monde de réminiscences païennes, de l'écart et de la sauvagerie, et le chasseur est pensé comme un être ambivalent, aux limites de la civilisation. Chaque région a sa légende de chasseurs maudits hantant les forêts. Saints chasseurs, saint Eustache, puis saint Hubert protègent de la rage, cet « ensauvagement ». Au XIIe siècle, l'apparition de traités spécialisés souligne la volonté d'ancrer la chasse dans la civilisation : retenons le traité de fauconnerie de l'empereur Frédéric II, le Livre du Roi Modus et de la Reine Ratio (XIVe siècle), empreint d'allégories morales, et surtout le Livre de la chasse de Gaston Phébus, comte de Foix, rédigé à partir de 1397 ; prestigieux, leurs manuscrits s'ornent de riches enluminures. Les scènes de chasse envahissent la littérature et, dans les romans arthuriens, la « chasse au blanc cerf » prend valeur d'épreuve initiatique. Importée d'Orient, la fauconnerie, pratiquée par les femmes comme par les hommes, symbolise l'univers courtois. Cependant, la chasse noble, où le guerrier s'éprouve et s'éduque, n'est pas encore coupée des chasses populaires : les traités évoquent les pièges et la chasse à l'arc aussi bien que la vénerie. Cette situation renvoie à la tolérance dont jouissent les chasseurs roturiers.
Quand la chasse devient un privilège.
• En 1396, l'ordonnance de Charles VI marque une rupture en séparant les loisirs des travailleurs de ceux des guerriers. Chasser devient le privilège personnel des nobles ou bien le droit d'un seigneur, détenteur d'un fief ou d'une haute justice. Cette évolution se dessine dans l'Europe entière. Toutefois, les bourgeois des villes peuvent chasser en banlieue et le droit de chasse roturier est théoriquement conservé en Béarn, dans certaines vallées pyrénéennes et alpines, ainsi qu'en Languedoc. Autour de Paris et des résidences royales règne le système détesté des capitaineries (créé pour Fontainebleau, en 1534) qui interdit toute chasse aux particuliers, même nobles, et réglemente étroitement les travaux agricoles. La culture de la chasse prend un tour nettement aristocratique dans les traités qui se multiplient entre 1560 et 1660, temps de troubles et d'interrogation sur l'identité nobiliaire et la fonction royale. Consacrés aux genres nobles, chasse à courre et dressage des rapaces, ces traités, tels ceux de Jacques du Fouilloux (la Vénerie, 1561) et de Charles d'Arcussia (la Fauconnerie , 1598), mettent l'accent sur la maîtrise de soi et la soumission à l'ordre légitime. Le chasseur doit résister à son goût pour le sang et la violence ; il magnifie ses pulsions dans un rituel raffiné qui accentue la distance entre lui et l'animal. Justifié depuis Xénophon comme une école de la guerre, le monopole sur la chasse est désormais bien plus encore un art de dominer la nature qui légitime la prééminence sociale.
Accompagner le roi : une faveur recherchée.
• À la cour, la chasse atteint sa plus haute signification : le souverain est le chasseur par excellence, qui seul tient l'équilibre entre sauvagerie et culture. Trois à quatre fois par semaine, le roi chasse, prouvant sa nature surhumaine par des hécatombes de cerfs ou d'oiseaux. Il est servi par de nombreux officiers, environ 380 sous Louis XIV. La charge de grand veneur est la plus prestigieuse, détenue au XVIIIe siècle par le comte de Toulouse, puis par son fils, le duc de Penthièvre. Pour tout noble, la présentation au roi se fait à la chasse et Chateaubriand en laisse le récit ému dans ses Mémoires d'outre-tombe. Pour la chasse, la nature est remodelée (au XVIIIe siècle, 1 600 kilomètres de chemins tracés en forêt de Compiègne), les résidences de loisir se multiplient tels Chambord, Fontainebleau et même, à l'origine, Versailles. L'art prend prétexte des plaisirs cynégétiques pour imaginer un univers fabuleux - sous le règne d'Henri II, thème de Diane qui joue sur l'allusion à Diane de Poitiers - ou affiner l'observation animalière - les peintres Desportes et Oudry.