Algérie, (suite)
• Le vote d'une motion de défiance au gouvernement ultraroyaliste de Polignac par la majorité libérale de la Chambre des députés (les « 221 »), puis la dissolution de la Chambre, le 15 mai, font de « l'expédition liberticide » un enjeu majeur de politique intérieure. Le gouvernement veut en effet « demander des députés au pays, les clés d'Alger à la main ». Malgré la capitulation d'Alger le 5 juillet, l'opposition est victorieuse. Les quatre ordonnances prises par le roi contre la nouvelle Chambre provoquent les Trois Glorieuses (journées des 27, 28 et 29 juillet 1830) et l'abdication de Charles X.
La prise d'Alger n'implique aucun projet particulier pour l'Algérie. La monarchie de Juillet, issue de l'opposition à l'expédition, veut éviter de renforcer les légitimistes en abandonnant la conquête. Elle attend pourtant jusqu'au 22 juillet 1834 pour annexer officiellement les « possessions françaises dans le nord de l'Afrique ». L'occupation restreinte, limitée aux environs d'Alger et à quelques ports, doit être complétée par la « domination indirecte » de l'intérieur des terres par l'intermédiaire de chefs indigènes vassaux. Mais l'indocilité du bey de Constantine Ahmed et du jeune émir arabe de l'Oranie Abd el-Kader incite les Français à étendre leur mainmise.
En 1840, il faut enfin choisir entre l'évacuation totale et la conquête totale. La première est jugée impossible, parce qu'elle humilierait la France face à l'Angleterre et aux autres grandes puissances européennes (qui viennent de l'obliger à cesser de soutenir le pacha d'Égypte Méhémet-Ali contre le sultan) et parce qu'elle permettrait aux légitimistes et aux républicains d'accuser le régime de sacrifier l'honneur national. La seconde implique deux conséquences de taille, prévues par le nouveau commandant en chef et gouverneur général Bugeaud : un effort militaire sans précédent (le tiers de l'armée française) pour briser, par tous les moyens, la résistance des partisans d'Abd el-Kader ; une colonisation de peuplement massive afin de décourager les révoltes et de transformer l'Algérie en une province française. Manière de pérenniser la conquête, la colonisation est également présentée comme le but positif qui manquait à l'expédition. Le gouvernement général organise alors une colonisation militaire et s'intéresse à des expériences collectivistes (saint-simoniennes, fouriéristes). Mais les émigrants veulent échapper à l'autorité militaire et jouir des mêmes droits civils et politiques que les Français de métropole, posant ainsi la question de l'assimilation.
Quel statut pour l'Algérie ?
• Le Gouvernement provisoire de la IIe République décide de répondre aux revendications des colons en créant trois départements, divisés en arrondissements et en communes, représentés à l'Assemblée nationale. Après les journées de juin 1848, il relance la colonisation pour résoudre le problème du chômage. La Constitution de novembre 1848 consacre la conquête en faisant de l'Algérie une partie du territoire national.
Méfiant envers les Français d'Algérie, trop républicains à son gré, Napoléon III hésite entre la poursuite de l'assimilation et la recherche d'une autre politique. Après avoir rétabli le pouvoir des militaires en 1852, il rattache le pays à un ministère civil de l'Algérie et des Colonies (1858), puis l'en détache, en 1860, et prétend constituer un « royaume arabe » au lieu d'une colonie. Conscient que le dynamisme démographique de la France est insuffisant pour peupler l'Algérie, il veut substituer une colonisation de capitaux à la colonisation de peuplement pour mettre le pays en valeur tout en respectant les intérêts des indigènes. Mais il est vigoureusement combattu par les « colonistes » et par tous les opposants à l'Empire (républicains, libéraux, catholiques). Dès mars 1870, le Corps législatif réclame le rétablissement du régime civil.
Durant toute la IIIe République (1870-1940), la politique d'assimilation est considérée comme un dogme républicain. L'Algérie doit devenir, selon Prévost Paradol, « terre française, peuplée, possédée et cultivée par des Français » (la France nouvelle, 1868). Pourtant, l'échec de ce programme est patent dès 1930.
Les trois départements ont retrouvé leurs députés dès 1871, mais la citoyenneté française reste le privilège d'une minorité, et la législation française n'est jamais intégralement appliquée. L'Algérie, comme les autres colonies, conserve un gouvernement général particulier et est dotée, en 1900, d'un budget propre, voté par des délégations financières élues.
Le peuplement français est moins important que celui des étrangers venus surtout d'Europe méridionale (Espagne, Italie, Malte). La loi du 26 juin 1889 sur la naturalisation automatique des enfants d'étrangers nés en territoire français accélère la fusion entre les deux populations au sein d'un nouveau « peuple algérien » (tenté par l'autonomie entre 1895 et 1900) distinct des Français de France. Cependant, la population dite « européenne » (qui inclut les étrangers non naturalisés et les juifs algériens) reste toujours minoritaire par rapport aux « indigènes » musulmans : elle ne dépassera pas 14 % de la population totale en 1926, et retombera à 10 % (1 million d'habitants sur 10 millions) en 1954. En outre, elle se replie sur les grandes villes côtières.
À l'inverse, la mainmise sur les ressources du sol et du sous-sol s'intensifie. La colonisation officielle organisée par l'État et les transactions privées facilitées par les lois foncières entraînent le transfert aux mains des Européens de plus du quart des terres cultivables et de la majeure partie des productions commercialisées. Dans les mines, les transports, l'industrie, les banques, les Français détiennent l'essentiel des capitaux et des postes de direction ou d'encadrement. La population musulmane, en rapide augmentation, peut de moins en moins subsister sur ses terres et doit rechercher des emplois salariés dans les grands domaines agricoles, les mines, les chantiers, les villes, et jusqu'en métropole.