Belle Époque (suite)
Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à une telle élaboration légendaire. D'abord, elle participe du mythe de l'âge d'or portant avec son écume brillante les raisons mêmes de son déclin : les âges d'or sont toujours crépusculaires ; vers 1890, personne n'aurait songé à revendiquer son appartenance à une « belle époque » ; en revanche, l'expression « fin de siècle », alors largement répandue, suscitait elle-même sa propre imagerie et dévoilait ses hantises. Ensuite, des motifs - « l'Expo », la « fée électricité », « l'aéroplane » ou « l'année 1900 » - constituent quelques-unes des représentations à forte charge symbolique facilitant l'assimilation collective du caractère heureux, voire frivole, de la Belle Époque, saisie à la fois dans son dynamisme novateur et dans sa désuétude. Cette condensation se retrouve également dans les traces toujours perceptibles qu'a laissées la période : la tour Eiffel, les ferronneries « nouille » des stations de métro de Guimard, les affiches de Mucha, définissent et figent un style, l'Art nouveau, au mépris d'autres formes élaborées conjointement. Enfin, l'usage généralisé de la photographie et de la carte postale, à partir de 1889, et l'invention du disque phonographique (1893) et du Cinématographe (1895) permettent, pour la première fois dans l'histoire, d'enregistrer et de conserver durablement les empreintes du temps. Celles-ci sont rétrospectivement perçues comme des chromos nostalgiques couleur sépia, étranges par leurs images aux mouvements saccadés et leurs voix nasillardes. Ainsi, parce qu'ils coïncident avec l'ère de la reproduction technique, les poncifs de 1900 s'alimentent au moins autant aux archives traditionnelles de la mémoire qu'à ces sources jusqu'alors inconnues, offertes non plus seulement au chercheur mais au plus grand nombre ; expliquant par là même, quoique en partie seulement, la popularité du mythe de la Belle Époque.