Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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droits de l'homme et du citoyen (Déclaration des), (suite)

Comme l'écrit Marcel Gauchet, « les droits de l'homme sont faits de ces conjonctions impures, de ces emprunts et de ces emboîtements efficaces » (article « droits de l'homme » du Dictionnaire critique de la Révolution française, 1988). L'héritage historique se projette alors dans le schéma philosophique, pour donner aux droits une forme : cette dernière se nomme « Déclaration des droits de l'homme ».

Des déclarations américaines à la Déclaration universelle.

• Dans cette mise en forme, il ne fait aucun doute que l'exemple américain a joué un rôle historique majeur. L'ensemble des « déclarations » qui se sont succédé outre-Atlantique entre 1776 et 1780 constitue un corpus fondateur quant à l'affirmation et à la reconnaissance des droits de l'homme. Plus encore, ces textes figurent explicitement à la base d'un système politique, acquérant rapidement une valeur aussi importante et aussi sacrée que les appels à la protection divine. La Déclaration d'indépendance des États-Unis (4 juillet 1776), la Déclaration des droits de la Virginie (juin 1776), le préambule de la Constitution et la Déclaration des droits de la Pennsylvanie (septembre 1776), la Déclaration des droits du Delaware (id.), celles du Maryland (novembre 1776), de la Caroline septentrionale (décembre 1776), le préambule de la Constitution et la Déclaration des droits du Massachusetts (mars 1780) : tous ces textes inscrivent dans l'histoire les principes affirmés par les philosophes du siècle des Lumières. Pour les Américains (et pour les Anglais), ils ne sont plus seulement le support d'idées, mais représentent le signe tangible d'une émancipation radicale. Des « citoyens » - désormais - se sont battus les armes à la main pour l'émergence et la défense des droits, des hommes politiques ont combattu pour leur donner la forme de textes : ces droits ont fait irruption dans l'histoire.

Il est d'ailleurs symbolique que le premier à présenter un projet de « déclaration » devant les députés français réunis à Versailles, en juillet 1789, soit La Fayette, héros de l'indépendance américaine. Il a même élaboré son texte avec l'aide de Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d'indépendance américaine, et alors ambassadeur des États-Unis à Paris. Comme le précise Denis Lacorne, cet intérêt est cependant davantage l'occasion d'une émulation que celle d'une imitation. En effet, les contextes américain et français sont très différents, et la Déclaration française doit « briser les chaînes d'un long esclavage ». La France ne reconnaît pas des déclarations, mais une Déclaration, qu'elle impose à l'Ancien Régime, élève au rang de Révolution, et offre ensuite à l'univers. Sieyès, le véritable père de l'Assemblée nationale française, reproche ainsi aux déclarations américaines leur pragmatisme, leur caractère localisé et leurs limites théoriques. Il ne s'agit plus, pour lui, d'énumérer des prérogatives particulières, mais d'affirmer de manière universelle les principes de la meilleure constitution politique possible. Seul un texte de cette ambition est susceptible d'incarner la rupture historique propre à la Révolution, et de contenter « un peuple qui rentre en possession de sa souveraineté complète. »

En travaillant ainsi à une Déclaration de type universel, les constituants ne sacrifient pourtant pas aux idées abstraites. Cette « abstraction métaphysique » est une accusation portée au moment même du travail déclaratoire, mais elle semble largement erronée, car, au cours de l'été 1789, les principes de la Déclaration des droits de l'homme sont les premiers leviers de l'action révolutionnaire. Ils offrent aux constituants leur meilleure arme dans la bataille pour le pouvoir, qui passe par la lutte pour la légitimité politique : alors que la légitimité traditionnelle est établie selon les principes monarchiques et divins, la légitimité nouvelle se fonde, a contrario, sur l'existence d'une Déclaration des droits qui figurera en tête de la Constitution à venir. Ce texte est donc à la fois l'illustration d'un fonctionnement pragmatique de la politique et l'emblème par excellence de l'affirmation des principes philosophiques.

Le long débat de l'été 1789.

• Ces principes sont posés dans un texte comportant un court préambule et dix-sept articles, travaillés, amendés et adoptés entre le 20 et le 26 août 1789 par l'Assemblée constituante. Placée sous les auspices de l'« Être suprême », l'idée maîtresse de ce texte pourrait être résumée par la célèbre formule de l'article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Ainsi, le droit ne s'impose dans l'ordre social que si les relations entre les hommes sont régies par des engagements inviolables. C'est pourquoi l'État doit se fonder sur un contrat réciproque et volontaire entre parties indépendantes. Le but de cette association est « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » (article 2). L'état social assure l'usage de ces différents droits fondamentaux en ne les bornant que par les droits d'autrui (articles 4 et 5). Ainsi protégés de leurs semblables, les individus ne peuvent pas non plus être inquiétés injustement par le gouvernement. À cet effet figurent une série de dispositions sur la légalité des délits et des peines (articles 7 et 8), la non-rétroactivité de la loi (article 8), la présomption d'innocence (article 9), la liberté des opinions et de leur communication (articles 10 et 11) et la tolérance religieuse (article 10). Tous ces droits ne sauraient être garantis sans une « force publique [...] instituée pour l'avantage de tous » (article 12).

Certains articles ont engendré de longs et parfois houleux débats, particulièrement sur la liberté des cultes et la liberté de la presse. La discussion s'achève enfin lorsqu'un député, Adrien Du Port, s'aperçoit que la propriété, « inviolable et sacrée », considérée comme un droit fondamental, a été oubliée. Les représentants de la nation rédigent alors l'article 17, bizarrement situé en fin de texte. Le lendemain, 27 août, l'Assemblée décide de suspendre « provisoirement » les discussions jusqu'à l'achèvement de la Constitution. Il est de ces « provisoires » qui durent une éternité : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'a, depuis lors, plus changé, façonnée, de manière certes imparfaite, par ce long débat de l'été 1789.