Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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radical (Parti). (suite)

Malgré la voie ouverte par Caillaux - celle d'un radicalisme gestionnaire -, les radicaux demeurent fidèles à la stratégie d'union des gauches qu'ils ont suivie depuis les débuts de la République. Les désistements entre socialistes et radicaux permettent un succès des gauches aux élections de 1914.

Les ambiguïtés de l'entre-deux-guerres.

• Entre 1914 et 1918, les radicaux participent à tous les gouvernements de guerre - au nom de l'« union sacrée » -, y assumant des responsabilités importantes (l'Intérieur, l'Instruction publique), sans pour autant en occuper la présidence : en effet, Georges Clemenceau, chef du gouvernement à partir de novembre 1917, est certes une grande figure historique du radicalisme, mais il n'a adhéré que très peu de temps au Parti radical, et en a démissionné en 1909.

Ces quatre années de guerre affaiblissent le parti, que l'on juge souvent responsable des difficultés d'alors. La politique de Clemenceau divise ses dirigeants, dont certains - Louis Malvy, Joseph Caillaux - sont accusés de pacifisme et traduits en Haute Cour. Dès la fin des hostilités, ce discrédit a un impact sur ses résultats électoraux : à l'automne 1919, le groupe parlementaire radical perd le tiers de ses effectifs de 1914. Sa rupture avec la SFIO interdit la survie du Bloc des gauches, tandis que le scrutin de liste contribue à exacerber les tendances centrifuges.

Cependant, même affaibli et divisé, le parti demeure un acteur essentiel du jeu politique et parlementaire car il est indispensable à toute coalition. De 1919 à 1924, il a plutôt tendance à s'opposer aux gouvernements de Bloc national, coalition à laquelle il a été, un temps, associé. Certes, des radicaux participent, à titre personnel, à des combinaisons ministérielles conservatrices, mais Édouard Herriot, leur nouveau président, s'efforce d'ancrer le parti à gauche, de le réorganiser en exploitant sa propre popularité et en faisant reconnaître par les notables radicaux la légitimité de l'organisation politique. Les radicaux et les socialistes, associés dans le Cartel des gauches, remportent les élections de 1924, et Herriot devient président du Conseil en juin. Mais très rapidement les contradictions de la coalition parlementaire et les ambiguïtés du Parti radical éclatent au grand jour. Les alliés peuvent sauvegarder leur accord sur les projets politiques : la défense de la laïcité (vaine tentative d'appliquer la loi de séparation des Églises et de l'État en Alsace-Lorraine), la promotion de la paix et de la sécurité collective (règlement du problème des « réparations » allemandes, entrée de l'Allemagne à la Société des nations, reconnaissance de l'Union soviétique). Mais les questions financières, la sauvegarde du franc, révèlent les faiblesses d'un gouvernement auquel les socialistes ne participent pas. Par ailleurs, les tensions internes au Parti radical affaiblissent une équipe ministérielle confrontée à une polémique intense. Dès lors, d'hésitations en renoncements, le Cartel des gauches doit admettre son échec. Édouard Herriot, après s'être heurté au « mur de l'argent », démissionne en avril 1925. La fiction du Cartel subsiste jusqu'en 1926, pour laisser place - sous l'appellation d'Union nationale - à une concentration des centres à laquelle les radicaux collaborent jusqu'en 1928, avant d'entrer dans l'opposition.

La complexité de ces choix stratégiques illustre les difficultés du Parti radical à s'adapter à une conjoncture politique et sociale nouvelle. Tout en demeurant jusqu'en 1936 le premier parti de France, il tend à prolonger des orientations qui sont antérieures à la Grande Guerre. Dans un pays où progresse le nombre des salariés, les radicaux restent attachés à leurs soutiens traditionnels (boutiquiers, artisans, rentiers). Enfin, le parti persiste dans sa défense de la laïcité de l'État, alors que celle-ci est désormais acquise. En se situant toujours à gauche, il rencontre une concurrence de plus en plus forte de la SFIO, qui prétend, non pas revenir à un « âge d'or perdu », mais transformer la société pour construire une « utopie sociale ». En ce sens, l'échec d'Édouard Herriot exprime la relative inadéquation des réponses radicales aux problèmes de l'entre-deux-guerres.

Les rivalités entre les dirigeants - Herriot, Caillaux, Daladier (lequel incarne une nouvelle génération) - ne font qu'aiguiser les tensions internes. À la fin des années 1920, le mouvement « Jeunes-Turcs » (Émile Roche, Pierre Cot, Jean Zay, Pierre Mendès France) tente de rénover les méthodes, le programme et la clientèle du parti. L'attention portée à l'économie, à la réforme de l'État, aux projets d'organisation internationale, fédère un groupe de novateurs que n'épargnent pas les divergences stratégiques classiques. Pourtant, les « Jeunes-Turcs » contribuent, avec l'appui d'Édouard Daladier, au renouvellement de l'alliance à gauche.

Après leur victoire électorale de mai 1932, les radicaux accèdent de nouveau au pouvoir : Édouard Herriot, qui préside le gouvernement, pense trouver des « majorités d'idées » sur les thèmes politiques principaux (budget, affaires internationales). Pour être habile, sa démarche se heurte néanmoins à une conjoncture très défavorable, les effets de la crise mondiale se faisant durement ressentir. Herriot démissionne en décembre 1932 : ce nouvel échec souligne les contradictions d'un radicalisme peu apte à définir une stratégie claire, et la crise d'un parti qui ne parvient pas à se renouveler. Plusieurs autres cabinets à direction radicale - Daladier, Chautemps, puis de nouveau Daladier - appliquent une politique de déflation, qui n'apporte aucune solution à la crise. Une partie de l'opinion accuse les radicaux d'être responsables de l'impuissance du régime à résoudre les problèmes essentiels du pays. Les événements du 6 février 1934, qui entraînent la démission du gouvernement Daladier, révèlent l'ampleur du discrédit.

En choisissant de s'associer au Front populaire, le Parti radical définit une démarche cohérente : l'alliance des classes moyennes et du prolétariat doit assurer la défense de la République, celle de la paix, et améliorer le sort des catégories sociales éprouvées par la crise. Mais Daladier ne peut entraîner tout le parti dans l'union des gauches, dont les radicaux donnent des versions contrastées. Sortis affaiblis des élections, les radicaux, qui appartiennent au gouvernement dirigé par Léon Blum, approuvent les premières réformes ; mais, dès l'été 1936, la fronde se développe : la perte de la prééminence parlementaire, l'impression de moins peser sur l'action ministérielle, la crainte des désordres sociaux, forgent les amertumes. Certes, socialistes et radicaux gouvernent ensemble jusqu'au printemps 1938, mais l'enthousiasme des débuts du Front populaire s'est effondré. À partir de l'automne 1938, Édouard Daladier - chef du gouvernement d'avril 1938 à mars 1940 - rompt nettement avec les socialistes et infléchit la tradition radicale en s'alliant étroitement avec les droites et en exerçant un gouvernement d'autorité jusqu'en mars 1940 (pratique des décrets-lois). Sa politique - et notamment la signature des accords de Munich, en septembre 1938 - lui assure une évidente popularité. Aussi, dans les mois qui précèdent la guerre, le Parti radical semble retrouver une partie du lustre qu'il avait perdu.