colonisation. (suite)
Le commerce constitue le but essentiel de la colonisation française au XVIIe siècle et, surtout, au XVIIIe : la plupart des établissements sont d'ailleurs fondés par des compagnies de commerce dotées, par une charte royale, de pouvoirs régaliens. Le commerce colonial s'inscrit alors dans le cadre du mercantilisme, qui vise à enrichir le royaume en « réexportant » plus que l'on « importe ». Les colonies procurent à la métropole des produits rares et chers, qui sont revendus en Europe, et sont un marché réservé pour les producteurs français de grain et d'objets manufacturés. C'est pourquoi Montesquieu présente comme une « loi fondamentale de l'Europe » le principe de l'« exclusif » ; la nation fondatrice doit maintenir le monopole de la navigation et des échanges avec ses colonies, et organiser leurs productions, afin que celles-ci soient complémentaires - et non concurrentes - des siennes. En outre, le commerce des esclaves entre l'Afrique et les îles à plantations constitue un élément essentiel du trafic triangulaire entre la métropole, les comptoirs d'Afrique et les colonies. Ces deux aspects complémentaires du vieux système colonial sont de plus en plus vivement attaqués, à partir du dernier quart du XVIIIe siècle, à la fois par le mouvement anti-esclavagiste (Société des amis des Noirs, 1788) et par la nouvelle doctrine économique libérale, qui conteste l'utilité du monopole colonial au nom de l'intérêt général (à distinguer des intérêts particuliers des armateurs, commerçants et manufacturiers des ports coloniaux). La révolte de Saint-Domingue, la première abolition (1794-1802) puis l'interdiction de la traite des Noirs (en 1807 par l'Angleterre, en 1815 par le congrès de Vienne), enfin, le décret du gouvernement provisoire de 1848, sur proposition de Victor Schœlcher, mettent fin à l'esclavage. Ce commerce est remplacé par d'autres échanges et par le transfert des lieux de production vers l'Afrique. Les intérêts coloniaux retardent néanmoins jusqu'en 1860 la substitution du libre-échange à l'« exclusif ».
La fin de l'ancien système n'empêche pas un nouvel élan colonisateur. En effet, la révolution industrielle du XIXe siècle multiplie les besoins de matières premières et de débouchés pour les industries métropolitaines. Ces besoins peuvent être satisfaits pacifiquement, conformément à la doctrine libérale du libre-échange, mais l'exacerbation de la concurrence, dans le dernier quart du XIXe siècle, incite de nombreux États, dont la France, à rétablir des tarifs douaniers (tarif Méline, en 1892). Invoquant une phrase célèbre de Jules Ferry (« La politique coloniale est fille de la politique industrielle »), de nombreux auteurs ont cru pouvoir expliquer la reprise de l'expansion coloniale sous la IIIe République par la volonté d'étendre le territoire douanier français. Cependant, le retour au protectionnisme succède à la relance des conquêtes, et il semble relever plutôt du désir de rentabiliser des possessions qui profitaient davantage au commerce étranger qu'au commerce français ; en outre, par des accords internationaux, le régime de libre-échange est maintenu dans de vastes régions de l'empire colonial (bassins conventionnels du Congo et du Niger, Maroc depuis 1906, Syrie et Liban depuis 1922), mais la politique protectionniste dans l'empire est renforcée par une loi de 1928.
La part du commerce colonial dans les échanges extérieurs de la France a varié considérablement. Elle atteint un tiers de ces échanges en 1789 (deux tiers en tenant compte de la réexportation des produits coloniaux en Europe), mais elle est réduite à néant durant les guerres de la Révolution et de l'Empire. Ce commerce reprend progressivement en 1815, à partir d'un niveau très bas, et se développe rapidement sous la IIIe République, particulièrement en temps de crise économique. En 1913, dans leur ensemble, les échanges avec les colonies représentent 9,4 % des importations et 13 % des exportations de la France, dont elles sont le troisième partenaire commercial, derrière la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Leur importance croît encore après la Grande Guerre et, notamment, durant la crise des années trente : 12 % des importations et 18,8 % des exportations en 1929 ; un quart et un tiers en 1935 ; 27,1 % et 27,4 % en 1938. L'empire colonial est le premier partenaire commercial de la France dès 1928 ; à elle seule, l'Algérie occupe cette position dès 1932. Mais cette relative prépondérance s'explique surtout par l'effondrement des échanges internationaux.
Selon la théorie marxiste, l'exportation de capitaux en vue de placements avantageux et sûrs, sous la forme d'emprunts publics ou d'investissements directs privés, est considérée comme un ressort fondamental de l'impérialisme. Certes, la France figure au deuxième rang des pays exportateurs de capitaux avant 1914, mais la part des colonies parmi les destinataires reste plutôt faible (9 % environ), et les Français investissent davantage dans des États indépendants. Toutefois, l'empire colonial arrive au troisième rang des pays de destination, après la Russie et l'Amérique latine, et au deuxième, derrière la Russie, pour les investissements directs. Même si, parfois, l'octroi de prêts prépare la mise sous tutelle de certains États (Tunisie, Maroc), le plus souvent, les investissements suivent la conquête. La répartition des exportations de capitaux dans l'empire s'avère aussi très inégale : près des deux tiers sont placés en Afrique du Nord, dont la moitié environ en Algérie. Les affaires coloniales sont généralement plus rentables que les entreprises françaises en métropole ou à l'étranger. Au début de la mise en valeur des colonies, l'État métropolitain investit, mais, depuis la loi du 13 avril 1900, celles-ci ne doivent plus rien lui coûter : il faut qu'elles couvrent leurs dépenses de fonctionnement, et elles peuvent emprunter les capitaux privés nécessaires à leurs projets d'équipement. Après la Première Guerre mondiale - qui entraîne une forte diminution des avoirs français à l'étranger et démontre l'insécurité de ces placements - les capitaux privés sont tournés davantage vers l'empire colonial, sous la forme d'investissements directs ou de souscriptions aux emprunts coloniaux, dont les intérêts sont garantis par l'État métropolitain, afin d'accélérer la mise en valeur des colonies (plan Sarraut en 1922, plan Maginot en 1931). Ainsi, la part des capitaux investis dans l'empire augmente fortement, pour atteindre entre 30 et 40 % des investissements extérieurs en 1929, et de 40 à 50 % en 1939. L'ensemble des sommes engagées reste toutefois beaucoup plus faible que celui de la Grande-Bretagne ou de la Belgique dans leurs colonies respectives d'Afrique noire.