Années folles, (suite)
Cette « course à la modernité » s'inscrit toutefois au-delà du cadre des mondanités parisiennes : les vêtements féminins plus simples et plus pratiques se démocratisent ; les supports culturels à forte diffusion se multiplient, tels la radio - alors à ses débuts -, le phonographe, ou encore l'affiche publicitaire qui, avec Carlu, Cassandre ou Colin, recycle à sa manière les apports du cubisme ou de l'expressionnisme, et les intègre bientôt au paysage urbain. Ces médias en voie de diversification participent de cette nouvelle forme de civilisation à laquelle public et créateurs ont l'impression d'appartenir : une civilisation de la technique, de la vitesse, du voyage, où, des futuristes à Blaise Cendrars, l'on se plaît à célébrer l'ivresse de la voiture, la poésie du train ou des transatlantiques. Laboratoire des techniques, les Années folles, marquées à leur début par l'explosion dadaïste puis surréaliste, explorent également toutes les potentialités d'un art nourri par le nihilisme hérité d'une guerre absurde, par les recherches sur l'inconscient mises en pratique dans l'écriture automatique et par un inébranlable anticonformisme qui va irriguer tous les domaines de la création, notamment le cinéma : encore muet, ce « septième art » est animé par une nouvelle génération de metteurs en scène - Louis Delluc, Germaine Dulac, Abel Gance, Marcel L'Herbier, René Clair, Luis Buñuel -, tous soucieux de créer une esthétique vouée au culte des images.
L'envers du décor.
• Pourtant, l'envers de cette effervescence se lit dans le repli notable, issu tout droit de la guerre, sur les valeurs nationales et le rejet du « kubisme » et de la « kultur », comme l'atteste la pratique picturale. À Paris, Derain, Léger ou Picasso retournent à une facture plus traditionnelle, et le réalisme redevient l'horizon théorique des peintres. L'architecture, malgré le dynamisme d'un Le Corbusier, accuse le trait : le retour au passé se manifeste dans la vague de reconstruction de l'entre-deux-guerres, comme si la Grande Guerre n'avait été qu'une parenthèse.
Entre invention et réaction, les Années folles gravent le mythe de recréation d'un monde et d'un homme enfin émancipés de la folie meurtrière. En 1933, alors que Hitler arrive au pouvoir et que la crise économique prend des proportions mondiales, ce mythe a fait long feu.