travailleurs de la soierie lyonnaise, acteurs de deux insurrections en 1831 et 1834.
Le métier à tisser manuel créé par le Grenoblois Jacques de Vaucanson en 1745 et perfectionné par le Lyonnais Joseph-Marie Jacquard de 1801 à 1816 permet de reproduire des motifs aussi facilement que l'on fabrique du tissu uni. Vers 1830, à Lyon, 8 000 chefs d'ateliers se partagent la propriété de 30 000 appareils de ce type, et travaillent à domicile avec leurs familles et des salariés. Ce sont les canuts, sous-traitants captifs de 500 « soyeux », ou « fabricants », qui fournissent la matière première et achètent les produits finis. Moins victimes du paupérisme que la plupart des ouvriers et mieux instruits, ils travaillent cependant quinze heures par jour ou plus, dans des conditions d'hygiène déplorables. En outre, la situation est aggravée par la crise économique, la concurrence étrangère, et les incertitudes politiques pèsent sur la demande. Le chômage augmente, et les soyeux réduisent les salaires par tous les moyens, malgré l'existence des premiers conseils de prud'hommes, créés en 1806 pour régler les différends entre patrons et ouvriers.
La révolte des ouvriers.
• Or Lyon garde le souvenir de ses insurrections ouvrières du XVIIIe siècle, et, depuis 1825, au travers de sociétés de secours mutuels, les canuts y tournent les lois Le Chapelier et d'Allarde, qui interdisent toute organisation professionnelle. En octobre 1831, les chefs d'atelier réclament un tarif minimal pour leur production. Le préfet réunit leurs délégués, ceux des soyeux ainsi que les maires de Lyon et des faubourgs. Le moment est encore marqué par le flottement qui suit la révolution de Juillet : un tarif est promulgué. Les soyeux qui le refusent sont boycottés. Mais le gouvernement réagit. Pour son chef, Casimir Perier, « il faut que les ouvriers sachent bien qu'il n'y a pas de remède pour eux que la patience et la résignation ». Le préfet doit alors annoncer que le tarif « n'a pas force de loi ». Le 21 novembre, salariés et chefs d'ateliers du quartier de la Croix-Rousse font cesser le travail et érigent des barricades. S'ils repoussent l'idée de révolution politique, ils entendent « vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Le 22 novembre, après avoir formé un gouvernement municipal provisoire, ils tiennent la ville entière, au prix de 600 morts, dont 360 du côté des forces de l'ordre. L'armée intervient, commandée par le duc d'Orléans, héritier du trône, et le maréchal Soult, héros d'Austerlitz et ministre de la Guerre. 20 000 soldats occupent Lyon, les arrestations se multiplient, le préfet est écarté, le tarif minimal supprimé, l'insurrection, écrasée.
Conséquences et postérité.
• Les libéraux ont tremblé. Selon le Journal des débats du 8 décembre, « les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie : ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ». Au contraire, républicains avancés et premiers socialistes voient dans la révolte l'irruption de la question sociale. Pour les mêmes raisons qu'en 1831, une autre émeute éclate en 1834, tout aussi violemment réprimée. Lyon fait alors, pour longtemps, figure de « ville sainte du socialisme » d'où doit partir la future révolution du prolétariat.
Le travail à domicile est progressivement remplacé par des usines installées dans les campagnes environnantes, plus soumises. À la fin du XIXe siècle, les canuts ne sont qu'un souvenir, présent pourtant jusque dans un fromage blanc aux herbes, spécialité locale appelée « cervelle de canut » : ce souvenir est ravivé en 1899 par Aristide Bruant, qui leur consacre une chanson, interprétée encore plus d'un demi-siècle plus tard par Yves Montand : les canuts tissent pour les « grands de l'Église » et « de la terre », ils n'ont « pas de chemise » et « sans draps on [les] enterre », mais ils « tisseron[t] le linceul du vieux monde / car on entend déjà la révolte qui gronde ». Ainsi entrent-ils définitivement dans la mémoire du mouvement ouvrier.