Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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pain. (suite)

Mais chacun devait choisir soigneusement son pain « selon [ses] fortune, condition et naturel » : aux riches le pain blanc, petit et léger, facile à digérer, fait de farine de froment bien blutée ; aux pauvres un gros pain noir ou « bis », fait de farine plus ou moins complète, de froment ou d'autres grains. Cette opposition n'avait rien d'inévitable : en ville, chacun pouvait se procurer du pain blanc chez le boulanger, s'il en avait les moyens, tandis qu'à la campagne, les paysans confectionnaient eux-mêmes leur pain, généralement avec la farine de leurs « bleds », et personne ne leur interdisait de faire pousser du froment, ni d'en bluter la farine jusqu'à ce qu'elle fût parfaitement blanche. Pourquoi fabriquaient-ils alors presque toujours un pain noir ?

Pains de campagne.

• Le seigle était la céréale des pains d'Europe centrale et orientale, mais aussi de nombreuses régions de France. « Il ne demande si soigneuse culture, ni terroir si gras, et tant bien amendé que le froment », écrivaient Estienne et Liébault, « car il fructifie en toute terre avec telle abondance que d'un grain seul il en vient cent, tant soit-il mal labouré et fumé. Témoins en sont les Auvergnats, Limosins, Perigordiens, Foresiens, et principalement la Beausse solognaise qui est abondante en cette espèce » de céréale. Là où les paysans mangeaient du pain de froment, ce n'était pas pour autant un pain blanc. Bluter sa farine n'était, certes, pas inimaginable à la campagne, « le son un peu gras étant nécessaire aux chevaux, aux vaches laitières, aux porcs qu'on engraissait », ainsi que le remarquait Rétif de la Bretonne. Mais tous les paysans ne faisaient pas le même calcul. Peut-être parce que, selon la diététique ancienne, le pain blanc était trop léger, pas assez nourrissant pour des travailleurs de force. Selon Estienne et Liébault, « le pain qui est fait de la farine de bled froment entière, et de laquelle on n'a rien séparé par le tamis, est propre pour les laboureurs, fossoyeux, crocheteurs, et autres personnes qui sont en perpétuel travail, d'autant qu'ils ont besoin de nourriture qui ait un suc gros, épais et visqueux ; propre aussi leur est celui qui n'a pas beaucoup de levain, qui n'est pas beaucoup cuit, qui est aucunement pâteux et visqueux, qui est fait de farine de secourgeon [orge], de seigle mêlé parmi bled froment, de châtaignes, de riz, de fèves, et d'autres tels légumes grossiers ». Plus un aliment était lourd à digérer, plus on le croyait énergétique.

Quelle que fût sa couleur, le pain paysan était toujours un gros pain, que l'on consommait rassis. Pour économiser le temps et le combustible, on n'en fabriquait au mieux qu'une fois par semaine - et même deux fois par an, dans quelques vallées reculées des Alpes. Il fallait donc l'empêcher de durcir trop vite, et, pour cela, on en faisait de grosses roues, de dix ou vingt livres parfois, protégées par une solide croûte. Il durcissait cependant, et l'on en mangeait d'autant moins. D'où le principe bien ancré de morale et d'économie paysannes qu'il faut manger son pain rassis.

Pains des villes.

• En ville, on ne fabriquait son pain que dans les bonnes maisons. La plupart des citadins, depuis le XIIe siècle, achetaient le leur chez les boulangers, qui en confectionnaient pour tous les goûts et pour toutes les catégories sociales. Dans la plupart des villes, il y en avait au moins trois qualités, portant des noms divers. La qualité supérieure s'appelait « fouaces » à Amiens, « pain blanc » dans les villes du Nord, « pain de provende » à Troyes, « pain choine » - c'est-à-dire « de chanoine » - à Nantes, Poitiers, Libourne et Bordeaux, « pain mollet » à Rouen ou Mézières, « pain moflet » dans plusieurs villes du bas Languedoc, etc. Jusqu'au XVIIe siècle, tous étaient ronds, des petites boules de pain blanc aux demi-sphères aplaties du gros pain. Ce n'est que plus tard que sont apparus, à Paris, des pains de fantaisie, de formes différentes. Les pains les plus blancs étaient les plus petits et les plus légers, et leur prix était d'ailleurs le même que celui des pains de qualité inférieure, toujours plus gros. Sous la surveillance attentive des autorités municipales, le poids de chacun d'eux variait en outre constamment selon le cours du froment, tandis que leur prix restait stable. Seuls quelques gros pains, vendus par des boulangers spécialisés, conservaient un poids constant, leur coût ne reflétant que les fluctuations de prix des grains les plus marquées : dans plusieurs villes de Champagne et de Bretagne, il s'agissait d'un pain de 650 grammes environ, fait par des « boulangers seigliers », à partir d'une farine de seigle bien blutée ; à Amiens, de gros pains « bis » de froment pesant quatre livres et demi, etc.

La population urbaine est devenue majoritaire en France en 1931, et aujourd'hui tous les Français, à la ville comme à la campagne, mangent du pain de boulanger. Au cours du XIXe siècle, la révolution des transports et la révolution agricole avaient déjà fait disparaître les crises céréalières cycliques. Et, prenant acte - avec retard - du déclin de son importance dans l'alimentation, c'est seulement dans les années 1970 que l'État a libéré le prix du pain.

Paine (Thomas),

écrivain et homme politique (Thetford, Angleterre, 1737 - New York 1809).

Né sujet anglais dans une famille de petits fabricants quakers, Thomas Paine est une figure de l'universalisme révolutionnaire. Américain d'adoption, il a 37 ans lorsqu'il arrive à Philadelphie. Muni de lettres de recommandation de Franklin, rallié à la cause de l'indépendance, il publie Common sense (1776). Il assigne aux Américains une mission universelle : allumer la flamme de la Liberté dans le monde et créer, par la conquête de l'indépendance et la mise en place d'une République démocratique, un asile pour le genre humain. Malgré l'immense succès de l'ouvrage, aussi bien en Amérique qu'en Angleterre ou en France, Paine est sans ressources lorsque se termine la guerre d'Amérique. Il rejoint l'Europe et reçoit les premiers échos de la Révolution française depuis Londres. Ses amis La Fayette, Condorcet et Brissot sollicitent son aide pour la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de la Constitution. Ses positions républicaines après la fuite du roi provoquent des réactions chauvines, mais la rédaction de Rights of man (1791-1792) pour contrer les arguments de Burke lui valent le titre de « citoyen français » le 26 août 1792. Élu par quatre départements à la Convention, il choisit de représenter le Pas-de-Calais. Mais ses positions sont mal comprises. Il vote contre la mort du roi, ce qui lui vaut l'hostilité de Marat. Le 5 nivôse an II, il est exclu de la Convention et emprisonné comme étranger. Les thermidoriens le réintègrent, souhaitant bénéficier de sa notoriété mais, lorsqu'il s'insurge contre le vote censitaire et l'abandon de la référence aux droits naturels dans la Constitution de l'an III, il n'est pas écouté. Il quitte la France en 1802.