Ancien Régime, (suite)
Cette organisation politique connut une lente érosion. L'idée que tous les pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - pussent être confondus devint intolérable. À plusieurs reprises, le monarque rappela que la nation se confondait avec lui et qu'elle ne pouvait se définir en dehors de lui. Pourtant, cette dernière apparut peu à peu comme la source de toute légitimité. Certains cherchèrent à s'exprimer en son nom, en particulier les membres des parlements, ces cours de justice qui enregistraient les décisions royales. Dans le royaume, il n'y avait guère d'occasions de dialogue et de négociation entre le roi et ses sujets. Il existait, dans quelques provinces, des états provinciaux ; cependant, les états généraux ne furent plus réunis après 1614. Finalement, la nation s'affirma à côté du roi, et contre lui. La Révolution mit alors un terme à la vénalité des offices, avant de s'en prendre à la monarchie elle-même.
Conserver l'ordre social ?
• La société était divisée traditionnellement en trois « ordres », inégaux en nombre. Le clergé et la noblesse y occupaient une fonction : la défense du royaume pour les gentilshommes et la prière pour les hommes d'Église, ce qui justifiait les privilèges dont ils jouissaient. La noblesse se définissait moins par un statut clair que par le sentiment d'appartenir à une race à part, par une manière de vivre et des valeurs propres. Ce groupe social restait ouvert aux familles qui s'illustraient au service du roi, ou qui achetaient des charges publiques. L'inégalité entre les sujets était un fait juridique. Elle se marquait dans le respect du « rang », des hiérarchies. Celles-ci étaient périodiquement rappelées lors des cérémonies : à l'église, à la cour du roi, dans les villes et les campagnes, chacun devait occuper sa place, fixée par la tradition. De tels honneurs faisaient naître une déférence « naturelle » pour ces élites, mais ils entretenaient, chez les puissants, un dédain tout aussi « naturel », que la charité chrétienne ne venait pas forcément adoucir, et qui devint peu à peu insupportable. L'inégalité sociale se traduisait à travers l'impôt royal par excellence - la taille -, dont les deux premiers ordres (mais aussi d'autres sujets) étaient exemptés. S'y ajoutait l'inégalité entre les hommes et les femmes, mais elle ne fut guère remise en cause.
La Révolution voulut détruire tout ce qui était considéré comme le « régime féodal ». La féodalité n'était plus qu'un souvenir, mais il en demeurait des traits singuliers, perçus comme des vexations. Les dernières traces de servitude, de « mainmorte », avaient sans doute disparu, mais les liens d'homme à homme persistaient, souvent symboliques et associés à des droits féodaux à payer. La seigneurie, quant à elle, liait le paysan à une terre, sous la protection d'un seigneur qui la possédait. Le paysan n'en était donc pas pleinement propriétaire : il devait acquitter des droits, tel le cens. Le seigneur jouissait d'autres droits, comme le monopole de la chasse - très mal accepté des roturiers à la fin du XVIIIe siècle -, et il disposait de banalités : les paysans avaient l'obligation d'utiliser le moulin et le four seigneuriaux. Enfin, même si la justice royale dominait presque partout et constituait un recours pour tous les sujets, les seigneurs conservaient des droits de justice.
L'Ancien Régime présentait aussi une dimension économique. Le travail artisanal reposait le plus souvent sur une organisation verticale, du compagnon au maître, même s'il existait des métiers libres et si Turgot avait tenté, en vain, d'établir la liberté du travail.
Tantôt décrit comme « un très grand et très vieil édifice » (Pierre Gaxotte) qui avait néanmoins grand air, tantôt comme « une sorte d'immense fleuve bourbeux » (Pierre Goubert) charriant des institutions venues d'autres âges, l'Ancien Régime fut aboli par une Révolution qui voulut faire table rase du passé. Pourtant, bien des réalités de l'Ancien Régime ont survécu à sa mort.