Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (Ve).

Analyser les quarante ans d'existence de ce régime, né en 1958, est une tâche complexe, tant nous manquons de recul.

Étudier un organisme vivant contraint l'historien à une démarche à géométrie variable. Pour la phase « algérienne », jusqu'en 1962, et celle d'« enracinement », dans les années 1960, une approche strictement chronologique paraît nécessaire : la Ve République est née d'un événement - celui du 13 mai 1958 -, et sa stabilisation s'opère au fil des crises qu'elle surmonte tour à tour. Mais, une fois que le régime a atteint sa vitesse de croisière, l'analyse portera davantage sur son « métabolisme », ses tendances structurelles : le départ du général de Gaulle en 1969, qui marque une césure essentielle ; les changements économiques et sociaux de la fin des années 1970, qui, avant même l'alternance politique de 1981, soumettent la Ve République à de nouvelles tensions...

La République gaullienne

Après le 13 mai 1958 et la crise politique qui s'ensuit, le général de Gaulle devient président du Conseil le 1er juin. Le lendemain, il est autorisé par l'Assemblée nationale à préparer une nouvelle Constitution : ce vote du 2 juin, d'une certaine façon, constitue l'arrêt de mort de la IVe République. Une telle fin a-t-elle été préméditée ? La question a été maintes fois posée, les adversaires du Général parlant de « complot », voire de « coup d'État ».

Naissance d'une République.

• La réalité, avec le recul, apparaît singulièrement plus complexe. Assurément, durant les journées troublées de mai 1958, manœuvres et rumeurs se multiplient à Alger, et les gaullistes y tiennent leur rôle. Mais il est plus exact de parler d'une situation « canalisée » par le général de Gaulle à son profit que d'un complot. De surcroît, la procédure de retour au pouvoir de l'homme du 18 juin est constitutionnellement régulière et ne constitue donc en aucun cas un coup d'État. Il reste que ce retour est favorisé par la crainte d'un coup de force venu d'Alger, et c'est cette menace supposée de rébellion, voire de guerre civile, que le Général et ses partisans utilisent avec adresse.

Durant l'été 1958, un projet de Constitution est rédigé, que de Gaulle présente au pays le 4 septembre, place de la République, à Paris, date et lieu hautement symboliques (après la défaite de Sedan, en 1870, la République fut proclamée ce jour-là). Les électeurs sont appelés à se prononcer sur ce projet par voie de référendum, fixé au 28 septembre. Les résultats de cette consultation constituent une double victoire pour le général de Gaulle : malgré l'appel à voter « non » du Parti communiste, d'une minorité de socialistes et de radicaux, et de quelques personnalités de gauche comme Pierre Mendès France ou François Mitterrand, les nouvelles institutions sont approuvées par 79 % des suffrages exprimés, et le taux de participation (84 %) leur confère une indéniable légitimité. Le contraste est frappant avec le référendum du 13 octobre 1946 (36 % de « oui » par rapport aux inscrits, près d'un tiers d'abstention), qui avait ratifié la Constitution de la IVe République. Le peuple souverain ayant donné sa caution à la nouvelle Constitution, celle-ci se trouve de facto adoptée ; aussi, le 28 septembre peut-il être considéré comme la date de naissance du nouveau régime.

Les élections législatives de novembre 1958 confirment les succès des gaullistes, qui, regroupés au sein de l'Union pour la nouvelle République (UNR), obtiennent 188 députés, soit presque 30 % des sièges. Ces élections se sont déroulées au scrutin uninominal à deux tours - autre changement par rapport à la IVe République - afin de permettre de dégager des majorités cohérentes. Celles-ci dépendent, il est vrai, des accords tissés entre les alliés pouvant déboucher sur des désistements entre les deux tours. Déjà se trouve en germe un principe de bipolarisation de la vie politique française, qui ne s'enclenchera réellement qu'en 1962 avec l'élection du président de la République au suffrage universel, opposant, au second tour, deux candidats seulement. Or, tel n'est pas le cas en 1958 : l'article 6 des institutions prévoit alors l'élection du président par un « collège électoral comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des territoires d'outre-mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux ». Le 21 décembre 1958, 78,5 % de ces 80 000 grands électeurs se prononcent en faveur du général de Gaulle, qui devient ainsi le premier président de la Ve République. Celui-ci entre officiellement en fonctions le 9 janvier 1959 ; le lendemain, il désigne Michel Debré, l'un des principaux rédacteurs de la nouvelle Constitution, comme Premier ministre. La phase de changement institutionnel ouverte huit mois plus tôt avec le 13 mai 1958 se termine. Mais, en ce début d'année 1959, le problème algérien reste entier.

De Gaulle et l'Algérie.

• C'est le drame algérien qui a donné au général de Gaulle l'occasion de son retour au pouvoir, et, en ce domaine, les attentes des Français sont immenses mais ambiguës : les uns espèrent que le président maintiendra l'Algérie française ; d'autres souhaitent l'ouverture de négociations avec le Front de libération nationale (FLN) ; la majorité veut surtout un retour rapide de la paix. Face à de telles aspirations contradictoires, quelles étaient les intentions du général de Gaulle ? Là encore, l'historien se trouve confronté à un débat qui n'est toujours pas tranché, près de quarante ans après les faits. Y a-t-il eu mensonge délibéré sur le sort que le président destinait à l'Algérie ? Ou bien, initialement partisan du maintien de l'Algérie française, a-t-il évolué en révisant progressivement son analyse et en en tirant les conséquences ? Préméditée ou progressivement adaptée aux circonstances, la gestion gaullienne de la crise algérienne a connu plusieurs phases successives.

La première ne diffère guère, au moins en apparence, de la politique menée jusque-là par la IVe République. Certes, le général de Gaulle a lancé, dès le 4 juin 1958, un sibyllin « Je vous ai compris », mais à l'automne il s'en tient à des promesses de réformes d'ordre économique (plan de Constantine) et appelle de ses vœux une « paix des braves ». En fait, c'est l'année suivante qu'intervient la première inflexion décisive. Le 16 septembre 1959, le Général avance le principe de l'« autodétermination » : le mieux serait, à ses yeux, que les habitants de l'Algérie se prononcent eux-mêmes sur leur avenir. À cette date, il se contente d'énumérer trois formules possibles : sécession (indépendance), francisation complète, association. Mais de ce moment date le premier divorce entre de Gaulle et les partisans de l'« Algérie française », qui ont le sentiment d'avoir été abusés. Des activistes tentent un soulèvement à Alger. Cet épisode de la « semaine des barricades » (24 janvier-1er février 1960) illustre l'ampleur de la rupture.