Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
E

Empire (Premier). (suite)

La cinquième coalition

En entrant en guerre contre la France en avril 1809, l'Autriche souhaite entraîner derrière elle toute l'Allemagne. Il n'en est rien. Napoléon triomphe à Eckmühl, le 22 avril, et s'empare une nouvelle fois de Vienne. S'il échoue à Aspern-Essling, le 21 mai 1809, il parvient néanmoins à franchir le Danube dans la nuit du 4 au 5 juillet et triomphe à Wagram. La paix de Vienne est signée le 14 octobre 1809. Les conditions s'avèrent dures pour l'Autriche, quoique atténuées par le mariage de Napoléon avec la fille de l'empereur, Marie-Louise.

Le Grand Empire

La naissance du fils de Napoléon, le roi de Rome, le 20 mars 1811, marque l'apogée de l'Empire. La France proprement dite comprend alors 130 départements englobant la Belgique, la Hollande (enlevée à Louis Bonaparte), Hambourg et les villes de la Hanse, le Luxembourg, la rive gauche du Rhin, Genève, le Piémont, Gênes, la Toscane et Rome. S'y ajoutera la Catalogne, par décret du 26 janvier 1812. Napoléon est protecteur de la Confédération du Rhin, qui regroupe tous les États allemands - à l'exception de la Prusse - et à laquelle est rattaché le duché de Varsovie, marche slave du Grand Empire ; il est médiateur de la Confédération helvétique et roi d'Italie (le royaume englobant le Milanais et la Vénétie). L'Empereur a pour vassaux son frère Joseph, roi d'Espagne, Murat, roi de Naples, et Jérôme, roi de Westphalie, au cœur de l'Allemagne. Ses alliés sont le Danemark (auquel appartient la Norvège) depuis 1807, la Suède, qui a choisi en 1810 pour prince héritier le maréchal Bernadotte, l'Autriche (Napoléon est le gendre de son souverain) et la Russie. A cet empire continental échappent, outre l'Angleterre, la Sicile (où les Bourbons de Naples ont trouvé refuge) et la Sardaigne. Les colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Sénégal, etc.) sont perdues. Pour unifier cet Empire, Napoléon compte sur le réseau routier, sur le Code civil - qu'il impose à tous les pays sous sa domination -, et sur ses armées, qui brassent des contingents croates (les Provinces Illyriennes, dont Trieste, sont rattachées à l'Empire) comme suisses, bavarois comme italiens. L'Europe est faite : elle est napoléonienne.

La France des notables

Cette emprise sur l'Europe se double d'une solide assise en France même. Jusqu'à la guerre d'Espagne, en effet, l'entente entre Napoléon et la nation reste parfaite. Le Blocus continental, qui institue un protectionnisme rigoureux, stimule une industrie française débarrassée de la concurrence anglaise, les exigences en soldats demeurent modérées, les conquêtes sociales de la Révolution sont préservées.

Si l'agriculture ne fait que peu de progrès (la jachère ne recule que dans les régions riches et les nouvelles cultures - betterave sucrière, pomme de terre ou pastel - n'ont encore qu'une expansion limitée), la géographie industrielle et commerciale de la France se transforme : à la suite de la guerre maritime, la façade atlantique perd l'importance que lui avait donnée le commerce colonial, avant la Révolution ; c'est désormais l'axe rhénan avec Strasbourg comme principal centre qui domine une économie plus continentale. L'Exposition industrielle de 1806 à Paris illustre l'état de développement de l'industrie française, particulièrement dans les trois secteurs de pointe que sont le coton (malgré les difficultés d'importation de la matière première et la préférence de Napoléon pour la soie), la chimie (soude, eau de Javel) et l'armement (aux manufactures d'armes de Maubeuge, Charleroi, Saint-Étienne ou Tulle s'ajoutent celles de Liège, Turin et Culembourg). L'activité est soutenue par une législation favorable à l'essor du capitalisme : Code du commerce de 1807, loi du 21 avril 1810 sur la propriété du sol, refus de rétablir les corporations.

Peu à peu se dessine alors une nouvelle société, fondée sur la prééminence des notables. Le terme « notable » apparaît dès la Constitution de l'an VIII, et correspond à une ploutocratie. Solidaire par sa fortune, ce groupe apparaît cependant divers quant à sa composition. Le notable peut en effet être un propriétaire aisé, un rentier, un négociant ou un homme de loi : il figure parmi les personnes les plus imposées de son département, ses revenus se situant au-dessus de 5 000 F, ce qui suppose un capital d'au moins 100 000 F (à titre de comparaison, le salaire à la journée d'un ouvrier parisien est d'environ 3 F). Le notable peut aussi être un fonctionnaire. On assiste sous l'Empire à la naissance de la fonction publique, dont le prestige est alors considérable. Désormais, tous les fonctionnaires sont nommés. Un barème des traitements est élaboré  : un préfet à Paris touche 30 000 F, un conseiller d'État 25 000 F et un chef de division 12 000 F. De tels revenus leur permettent d'appartenir à la nouvelle élite sociale. En 1808, Napoléon juge le moment venu de rétablir une noblesse qui réunirait la ploutocratie issue de la Révolution et l'aristocratie de l'Ancien Régime, sans toucher au dogme de l'égalité. Le décret du 1er mars 1808 rétablit les anciennes dénominations nobiliaires de prince, duc, comte, baron et chevalier. Mais ces titres n'entraînent, à l'inverse des anciens, aucun privilège. Ils sont simplement honorifiques. Toutefois, des donations impériales peuvent les accompagner. Entre 1808 et 1814, on compte 3 268 anoblissements, soit un chef de famille sur 10 000 citoyens, contre sept pour 10 000 en 1789. 59 % des nouveaux nobles viennent de l'armée, 22 % sont de hauts fonctionnaires et 17 %, des notables. Les élites intellectuelles et artistiques ne dépassent pas les 2 %.

Si Napoléon s'est appuyé sur les notables, il a également été soutenu par les classes populaires, longtemps attachées à l'Empire. Pour les ouvriers, les ponctions humaines qu'entraîne la conscription assurent le plein emploi et la montée des salaires (25 % environ), alors que, parallèlement, le prix du pain reste très bas. À Paris, les salaires, plus élevés qu'en province, varient entre 3 et 4 F par jour, soit moins de 900 F par an (à titre de comparaison, la principauté d'Essling rapporte à Masséna une rente de 500 000 F). Ainsi, malgré une surveillance accrue (la loi du 22 germinal an XI impose aux ouvriers un livret qu'ils doivent remettre à leur patron au moment de l'embauche) et l'interdiction des coalitions (qui n'empêche pas qu'aient lieu des grèves à Paris au moment du sacre ou lors de la construction de l'arc de triomphe de l'Étoile), le monde ouvrier ne bouge pas. Dans les campagnes, la conjoncture s'est améliorée pour le journalier, simple salarié qui bénéficie, là encore, de la rareté de la main-d'œuvre en raison des levées d'hommes. Les salaires augmentent de 20 %. Quant au fermier, s'il doit désormais payer ses fermages dans une monnaie stable, la hausse du prix du blé le favorise. De façon générale, on mange mieux et on s'habille avec plus de soin en milieu rural. Comme les ouvriers, et malgré la conscription, les paysans sont attachés à Napoléon, qui les protège d'un retour toujours redouté des droits féodaux.