Louis XI (suite)
Bien que Louis XI n'ait pu éviter l'installation des Habsbourg aux portes du royaume de France, le bilan de son œuvre territoriale est considérable. Le Roussillon et la Cerdagne sont réunis au royaume en 1475, le Maine et la Provence en 1481. À l'exception de la Bretagne, l'autorité royale s'étend sur la totalité du royaume. Toutes ces années d'efforts soutenus ont usé la santé du roi, qui est victime d'attaques à partir de 1479 et se retire de plus en plus fréquemment à Plessis-lez-Tours, au cœur de la Touraine. Dans une atmosphère de superstition dévote, en proie à la crainte obsessionnelle du complot, il meurt d'une crise d'apoplexie le 9 avril 1483.
Grandeurs d'un règne controversé
Malmené dès son vivant par plus d'un chroniqueur, Louis XI n'a pas plus tôt disparu que sa mémoire est conspuée d'une manière à peu près unanime : « Fourbe insigne connu d'ici jusqu'aux Enfers,/ Abominable tyran d'un peuple admirable », écrit l'évêque Thomas Basin dans son Histoire de Louis XI. Une légende noire ne tarde pas à se répandre, que cristallisera quelques siècles plus tard un imaginaire romantique friand de figures méphistophéliques. Les historiens contemporains se sont dépris de cette vision affective pour s'intéresser à la dynamique d'un règne situé à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance. Héritier d'un royaume médiéval que le système de la féodalité condamne à d'inquiétants mouvements centrifuges, Louis XI laisse à ses successeurs un État en voie de centralisation. Toute son action procède d'une volonté d'harmonisation politique et institutionnelle, qui ne recule certes pas devant la tentation autocratique. À l'encontre d'une noblesse qui multiplie rébellions individuelles, coalitions et trahisons, il use de sanctions impitoyables - exécutions (duc de Nemours, connétable de Saint-Pol) ou emprisonnements à vie (duc d'Alençon). Les corps intermédiaires sont soumis à la volonté d'un roi qui entend juger et trancher seul les questions publiques : s'il crée de nouveaux parlements à Bordeaux, Dijon et Perpignan, il n'hésite pas à retirer aux assemblées locales des affaires que son propre Conseil règle sans appel ; quant aux états généraux, ils ne sont convoqués qu'une fois, en 1468, et dans le seul but d'entériner l'action du roi contre les féodaux. L'Église elle-même n'échappe pas à cette étroite subordination : imposant lui-même ses candidats aux évêchés, le roi exige des prélats qu'ils se fassent les instruments dociles de sa politique. Processus long, obscur et sinueux, la centralisation qui s'amorce ne peut guère se mesurer qu'à l'échelle des siècles. Louis XI n'en perçoit pas moins l'enjeu fondamental, avec l'acuité toute pragmatique qui le caractérise : la puissance de l'État doit s'imposer à la société et en pénétrer toutes les articulations, sous peine de laisser subsister une mosaïque d'archaïsmes et de turbulences. Moderne, Louis XI l'est également par sa remarquable compréhension des évolutions sociales et économiques : ses nombreuses tournées d'inspection dans les villes et les campagnes françaises lui permettent de prendre la mesure concrète des ressources et des pesanteurs du royaume. Assurant la promotion de la bourgeoisie - au sein de laquelle il recrute les officiers royaux -, son action politique s'appuie sur un essor économique dont les activités nouvelles (soierie, imprimerie) et les foires (Lyon, Caen, Rouen) sont les vecteurs prépondérants. Louis XI a d'ailleurs l'habileté, dans sa lutte contre le Téméraire, d'ajouter la dimension économique à la guerre et à la diplomatie : le blocus infligé aux Flamands entraîne une diminution substantielle des revenus de la maison de Bourgogne, et n'est pas un facteur négligeable de sa ruine.
S'arrachant à la psychologie désuète et aux clichés réprobateurs, l'historiographie récente assigne désormais à Louis XI une place essentielle dans la dynamique de modernisation du royaume : la figure du fourbe de mélodrame s'est à peu près estompée. Cet infléchissement de perspective ne saurait, pour autant, faire oublier l'extraordinaire tempérament d'un souverain qui échappe à nos rationalisations : esprit infatigable, avide de comprendre et de transformer son temps, tacticien subtil, il est aussi ce monarque terrorisé par la mort, couvert de reliques et cherchant névrotiquement à fléchir le Ciel. Celui dont la ténacité politique entendait se soustraire aux canons de la morale traditionnelle est le même qui s'enferme, au soir de sa vie, dans une foi frileusement idolâtre. Incarnation complexe d'un âge où se redessinent les rapports de l'homme et du monde, Louis XI n'est-il pas, indissociablement, le dernier souverain médiéval et le premier « prince » de la Renaissance ?