Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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franc-maçonnerie, (suite)

Toléré à partir de 1747 par le pouvoir royal, le fait maçonnique concerne l'ensemble du royaume, mais avec une importance inégale. Avant 1750, les loges s'implantent surtout dans la moitié sud. Au cours des années 1750, leur concentration se déplace du sud-ouest vers le nord-ouest, et du Languedoc vers la Provence. Au-delà de 1760, le réseau s'étoffe. L'Ordre s'infiltre dans l'Est, de Lyon à Metz, puis en Basse-Normandie, enfin dans le Massif central et la Champagne.

L'essor de la maçonnerie correspond à la crise parisienne qui agite la Grande Loge de France, première obédience fondée en 1738. L'affrontement de ses membres au sujet de la démocratisation de l'institution conduit à la création, en 1773, d'une obédience rivale et démocratique, le Grand Orient de France, avec, à sa tête, le duc de Chartres (futur Philippe Égalité). Le Grand Orient a une double ambition : vérifier la régularité des loges et refondre les mœurs maçonniques.

L'amour de l'égalité.

• Réglée par la liberté de conscience, la maçonnerie désire regrouper tous les hommes « de haute valeur morale et philosophique » (Constitutions d'Anderson). Dans le secret de l'atelier, regroupant de 20 à 50 maçons, la distinction est en principe fondée sur le mérite et non sur la condition juridique de chacun. Les frères doivent « conserver une égalité d'âme qui ne se démente jamais, s'aimer, se supporter les uns les autres », ce que symbolise la truelle. Le futur maçon est d'abord choisi, puis accepté et initié aux mystères lors de la « réception ». Guidé d'un monde de ténèbres à un monde de lumière, le profane se transforme au fur et à mesure du franchissement des grades, ou degrés. Deux grades sont conférés : apprenti et compagnon, auxquels s'ajoute, à partir de 1730, celui de maître. Les loges qui s'en tiennent à ces trois grades sont dites « loges bleues », ou « loges anglaises ». Elles se distinguent des loges écossaises, regroupant les maîtres écossais, quatrième grade reconnu à partir de 1743-1744. Les outils de la maçonnerie spéculative - l'équerre et le compas -, empruntés à la maçonnerie opératoire, symbolisent les vertus du maçon : par un travail sur lui-même, il œuvre à la construction du « temple de l'humanité ».

À l'intérieur de la loge se déploie une part de sociabilité traditionnelle (banquets, musiques et chansons). Des principes démocratiques régissent son fonctionnement : ainsi, après la crise de 1773, toute décision est précédée de discussions et adoptée par un vote ; les charges, telle celle de « vénérable » (président de la loge), deviennent électives et non patrimoniales.

Un développement autonome.

• La maçonnerie n'est pas « un simple produit » des Lumières. Ran Halévi a montré l'autonomie de son développement. Quatre facteurs seraient déterminants : les attraits de l'occultisme - l'écossisme -, l'influence anglaise, l'influence militaire, le rôle de la bourgeoisie d'affaires. L'influence anglaise se limite à la première période : trois Anglais fondent, en 1732, à Bordeaux, une loge dite « l'Anglaise ». Des « installations », souvent éphémères, résultent du passage de régiments pourvus d'une loge (un tiers à la fin de l'Ancien Régime). Le plus fréquemment, des loges sont fondées par des militaires retirés du service. Mais l'immense succès de la maçonnerie repose sur la bourgeoisie d'affaires.

« Fait social national » (P. Leuillot), l'Ordre est cependant, à l'origine, peu favorable aux juifs, aux comédiens, aux domestiques et aux membres de métiers jugés peu dignes. Entre 1775 et 1789, en province, 4 des membres appartiennent au clergé, 15 % à la noblesse et plus de 80 % au tiers état (respectivement 4 %, 22 % et 74 % à Paris), dont la moitié est issue du monde de l'entreprise, du négoce, de la manufacture et de la banque. La position ambiguë de cette bourgeoisie dans la société traditionnelle explique son adhésion à cette nouvelle forme de sociabilité. Talents et argent ne suffisent pas à lui procurer un bénéfice culturel. Les sociétés savantes et académiques lui ferment leurs portes. « En somme, conclut Ran Halévi, l'Art royal est pour le négociant un microcosme où il peut retrouver des 'lumières' et une aristocratie de rechange », en marge des cadres normatifs de l'Ancien Régime.

Par sa morale et sa pratique, la maçonnerie a participé au travail de sape du système de valeurs de la société d'Ancien Régime. En revanche, aucun « complot maçonnique » n'est à l'origine de la Révolution. Cette légende, avancée dès 1791 par l'abbé Lefranc, est relayée par l'abbé Barruel, en 1797, dans ses Mémoires secrets pour servir à l'histoire du jacobinisme. En fait, dès les débuts de la Révolution, la maçonnerie s'affaiblit et les maçons se divisent.

Le combat pour la République et la laïcité.

• Pilier du régime impérial, la maçonnerie est seulement tolérée sous la Restauration, et, jusqu'en 1860, son histoire apparaît assez conformiste.

Après 1862, elle s'engage en faveur des idéaux républicains et anticléricaux et contribue, dès la chute du Second Empire, à l'implantation de la République. Ses dirigeants se réclament alors d'un positivisme agnostique ou athée. En 1877, le Grand Orient supprime de ses Constitutions toute référence à l'obligation de croire en Dieu et en l'immortalité de l'âme. À la fin du siècle, la maçonnerie participe activement à la vie politique en appuyant les forces de gauche. En 1902, lors des législatives, elle soutient les candidats du Bloc des gauches, dont la victoire conduit au vote, en 1905, de la loi de séparation des Églises et de l'État. Le Grand Orient et, dans une moindre mesure, la Grande Loge s'engagent ouvertement en faveur du Cartel des gauches, vainqueur des législatives de 1924. En 1936, bien que les obédiences ne soient pas directement engagées dans le combat électoral, la majorité des maçons soutient le Front populaire. Sous la IIIe République, nombre d'hommes politiques radicaux ou socialistes sont maçons, du président du Conseil Émile Combes (1902-1905) au ministre du Front populaire Jean Zay.