troisième ordre de la société d'Ancien Régime, auquel appartiennent ceux qui ne sont ni clercs ni nobles.
Dans la France du bas Moyen Âge et de l'époque moderne, les ordres constituent l'un des fondements idéologique et juridique de l'organisation sociale. Ils trouvent leur origine dans une vision du monde qui s'affirme aux alentours de l'an mil et qui divise la société en trois catégories d'hommes : ceux qui prient, ceux qui combattent, et ceux qui travaillent, les laboratores. L'Église dès le haut Moyen Âge, la noblesse à partir du XIe siècle, se structurent en groupes relativement cohérents, auxquels sont associés des droits et des privilèges particuliers. Le troisième groupe, qui comprend la grande majorité des habitants du royaume, se constitue plus lentement : sa désignation « tiers état » n'apparaît qu'à la fin du XVe siècle. À cette époque, la distinction de la société en ordres s'est définitivement imposée et appartient à la loi fondamentale du royaume.
Un ordre disparate.
• Contrairement aux deux premiers ordres, le tiers état se définit juridiquement de façon négative, comme celui auquel, dans son ensemble, n'est attaché aucun privilège. Toutefois, ses membres sont les seuls à pouvoir exercer une activité marchande ou professionnelle, dans le cadre d'une corporation de métier. Par son extension même - près de 98 % de la population totale -, le tiers état est hétérogène : officiers du roi, médecins, avocats, financiers, marchands, laboureurs, gens de métier, journaliers et vagabonds se mêlent dans un même ordre, tout en ayant des intérêts et des modes de vie différents. À partir des XIVe et XVe siècles, la frange supérieure de cet ordre disparate, la bourgeoisie, commence cependant à se distinguer et à acquérir une influence grandissante dans la société. C'est elle, en particulier, qui dispose du seul rôle politique légal accordé au Tiers : la présence aux états provinciaux et aux états généraux. En effet, ces assemblées consultatives sont constituées de représentants des trois ordres, qui siègent et délibèrent indépendamment les uns des autres. La bourgeoisie accapare l'essentiel des places attribuées au Tiers et accroît ainsi son assise sociale, d'autant que la monarchie s'appuie fréquemment sur celui-ci pour imposer ses vues aux ordres privilégiés. Mais, après ceux de 1614-1615, les états généraux ne seront plus réunis avant 1789. Le tiers état n'a donc plus de représentation politique, d'autant que les assemblées provinciales tendent à disparaître ou sont mises au pas sous la pression de la centralisation entreprise par la monarchie absolue.
La montée en puissance du Tiers.
• Les deux derniers siècles de l'Ancien Régime accentuent l'écart, de plus en plus mal vécu, qui existe entre l'inégalité civique et juridique des membres du Tiers et leur influence démographique et économique réelle dans le pays. Ainsi, lorsqu'est annoncée la convocation des états généraux, en juillet 1788, les membres les plus éclairés et les plus puissants du tiers état entendent bien faire de cette assemblée une tribune pour leurs revendications. Au cours de l'hiver 1788-1789, le débat se focalise sur le doublement du nombre des représentants du Tiers et sur le vote par tête et non par ordre ; le premier point est acquis en décembre tandis que le second est laissé en suspens. L'expression « tiers état » connaît alors, au début de l'année 1789, une fortune politique sans précédent, notamment après la publication de la célèbre brochure de l'abbé Sieyès Qu'est-ce que le tiers état ? L'auteur y exprime en termes percutants certaines des idées qui ont contribué au succès des Lumières : « Ainsi, qu'est-ce que le tiers état ? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l'ordre privilégié ? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. » Le tiers état devient dès lors synonyme de liberté ; il est, à lui seul, contre l'inégalité formelle des ordres, la nation affranchie. Avec l'abolition des privilèges, lors de la nuit du 4 août, il perd sa signification juridique et sociale. À la société d'ordres succède, dans les représentations politiques, une société de classes.