classicisme.
Peut-on parler d'une école classique dont les membres, théoriciens et créateurs dans les différents arts, se seraient reconnus et rassemblés pour exprimer l'esthétique du XVIIe siècle ?
L'article « Classique » du Dictionnaire universel de Furetière (1690) ne fait pas du tout allusion aux cinq ou six décennies qui viennent de s'écouler et ne cite que des auteurs de l'Antiquité, preuve, sans doute, qu'en cette fin de siècle - crépuscule chronologique du classicisme - l'on n'a pas pris conscience de son existence en tant que fait d'histoire et de culture. Là réside peut-être la principale difficulté pour l'analyse critique. Existe-t-il une interprétation des conditions objectives d'apparition du classicisme ? Existe-t-il une description normative de la constitution du classicisme ? Existe-t-il une synthèse - fût-elle fugitive - de la création classique ?
Scansions
Le classicisme et le XVIIe siècle ont partie liée dans l'histoire de France. Sans Richelieu et Louis XIII, sans Mazarin et Louis XIV, sans les guerres civiles - dont la Fronde - et les conflits européens, on ne peut imaginer que se cherche, se trouve, puis s'impose, la mystérieuse alchimie de civilisation à laquelle nous devons les tableaux de Nicolas Poussin et de Philippe de Champaigne, les constructions de Mansart et de Le Vau, les jardins de Le Nôtre, les compositions de Lully, l'administration de Colbert et les fortifications de Vauban, le rationalisme cartésien, l'esprit pascalien, le héros cornélien, le tragique racinien, les comédies de Molière, les Fables de La Fontaine, les œuvres de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul et de Bossuet... Si le classicisme est un fait de civilisation dans la France du XVIIe siècle, il convient de chercher les signes de sa genèse, de son apogée et de son déclin, c'est-à-dire les dates fondatrices de sa légitimité.
Le Grand Siècle commence avant même la fin du XVIe siècle, avec l'avènement d'une nouvelle dynastie (le Bourbon Henri IV succède au Valois Henri III) et l'achèvement des guerres de Religion, par l'affirmation de l'unité politique du royaume (édit de Nantes, 1598). Le XVIIe siècle s'épuise dans « la crise de la conscience européenne » chère à l'historien des idées Paul Hazard, avant de s'effacer avec la mort de Louis XIV (1715). 1698-1715 : tel est le cadre historique large du classicisme. Ce cadre est également celui de la construction de l'État moderne et d'une mise en ordre politique et administrative qui précède la perspective sociale et culturelle. Aucun des points ou des temps forts de l'esthétique classique n'eût existé à l'époque, ou n'eût été compréhensible aujourd'hui, sans ce double mouvement.
La tradition universitaire va multiplier les hypothèses de délimitations chronologiques plus précises de la période classique : l'ordre des batailles n'est pas celui des poètes, l'agitation politique contraste avec la sérénité des savants et des érudits, la violence des passions d'État ne s'exprime pas au même rythme que la conversation des salons. Aussi est-il raisonnable de proposer une période centrale (1630-1685) qui permette d'intégrer à la réflexion l'acuité d'une date et la sensibilité d'une génération.
Pourquoi vers 1630 ? Parce que le pouvoir de Richelieu se confirme (paix d'Alès avec les protestants ; journée des Dupes, qui ridiculise l'opposition aristocratique) ; la Contre-Réforme triomphe (fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement et publication posthume des Entretiens spirituels, de saint François de Sales) ; la raison philosophique s'affirme (Galilée publie le Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde, peu avant son procès) ; la rupture théorique et littéraire avec le XVIe siècle s'achève (publication posthume des œuvres complètes de Malherbe, naissance du journalisme moderne avec la fondation, en 1631, de la Gazette de Théophraste Renaudot) ; la politique et les arts scellent leur alliance (Richelieu crée l'Académie française en 1635).
Pourquoi vers 1685 ? Parce que la France est en guerre contre toute l'Europe (le principal ennemi de Louis XIV, Guillaume d'Orange, accède au trône d'Angleterre, et la ligue d'Augsbourg se constitue) ; la raison d'État rejoint la religion d'État (révocation de l'édit de Nantes) ; la philosophie des Lumières jette ses premiers feux (Pensées sur la comète, de Bayle ; Entretiens sur la pluralité des mondes et Histoire des oracles, de Fontenelle ; Traité de l'éducation des filles, de Fénelon) ; la morale du Grand Siècle enferme et embaume le classicisme (les Caractères, de La Bruyère).
1630 et 1685 marquent un début et une fin - non le début et la fin -, et 1661, ou sa proximité immédiate, confirme l'hypothèse historique et culturelle : la mort de Mazarin met fin au système de gouvernement des deux cardinaux Premiers ministres - l'un français, l'autre italien - qui ont pensé et organisé la construction de l'État moderne, y compris dans sa composante esthétique ; la guerre en Europe s'achève - pour un temps - grâce au traité des Pyrénées (1659), qui annonce la prépondérance française ; la guerre des idées s'accentue (obligation pour les clercs de signer le Formulaire antijanséniste ; condamnation des Provinciales, de Pascal ; publication de la Logique de Port-Royal, d'Arnauld et Nicole ; représentation du Tartuffe, de Molière) ; la « gloire royale » commence à se mettre en scène (les constructions de Le Vau et les jardins de Le Nôtre s'esquissent à Versailles ; Lully est nommé surintendant de la musique du roi, et Le Brun, premier peintre du roi ; la « petite académie » - future Académie des inscriptions et belles-lettres - est fondée en 1663.
1630, 1661, 1685, telles sont donc les scansions du classicisme : tout est possible, tout est réel, tout est accompli.
Politiques
Il convient de procéder à un examen attentif des éléments constitutifs du classicisme, qu'il s'agisse de l'histoire, de la théorie politique, de la spiritualité, de l'esprit scientifique, de la philosophie, de la vie sociale, de la langue... L'analyse historique rend compte de la dimension nationale du classicisme, qui coïncide, en Europe, avec une prépondérance française, alors que l'Espagne a dominé le XVIe siècle, et que l'Angleterre s'imposera au XVIIIe. La politique intérieure et extérieure de Richelieu marque la volonté de restaurer l'autorité face à la survivance ou à la réaction aristocratiques, à la dissidence religieuse des protestants, et à la toute-puissance de la dynastie des Habsbourg. L'action de Mazarin sera fondée sur les mêmes principes, et tendra aux mêmes objectifs : la paix intérieure et extérieure. Sans doute peut-on voir un point commun avec l'œuvre d'Auguste : il faut mettre un terme aux guerres civiles et extérieures. Le classicisme, en politique, c'est la pacification. On peut reprocher à Tacite et à Machiavel, voire à Hobbes, de sublimer la fonction transcendantale de la raison d'État, y compris par l'ignorance ou le mépris de la morale chrétienne. Richelieu et Mazarin n'acceptent pas ce reproche : la raison d'État, qui est une notion, est un moyen ; le roi, qui est une personne, est une fin. Les cardinaux gallicans auront fait le travail politique. Louis XIII et, surtout, Louis XIV auront accompli l'œuvre historique.