Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S

Saint-Simon (Claude Henri de Rouvroy, comte de)

philosophe (Paris, 1760 - id. 1825).

Membre d'une famille noble ruinée - celle de l'auteur des célèbres Mémoires -, Saint-Simon participe à la guerre d'Indépendance américaine, puis fait fortune sous la Révolution en montant une entreprise de spéculation sur les biens nationaux. En 1798, il liquide ses affaires et décide de se consacrer à l'étude des sciences, menant désormais une existence très précaire.

En 1814, il engage comme secrétaire Augustin Thierry et publie De la réorganisation de la société européenne, où il prône l'union avec l'Angleterre et une organisation de la paix en Europe. Dans les revues l'Industrie, puis le Politique, rédigé avec Auguste Comte, son secrétaire à partir de 1818, il réfléchit sur l'activité économique ; en 1819, il est poursuivi pour un pamphlet publié dans le premier numéro de l'Organisateur : il y explique que la disparition du personnel gouvernemental ne provoquerait aucun dommage pour la nation, et qu'il faut dresser la classe industrielle (les « producteurs ») contre les oisifs. Dans ce journal, il expose les voies pour parvenir au « régime industriel », création collective où chacun participerait, selon ses moyens, à la production des richesses. Cet optimisme industrialiste s'infléchit à la fin de sa vie. Il se tourne alors vers la religion pour faire advenir la société industrielle : dans son Nouveau Christianisme (1825), il s'appuie sur le message de l'Évangile comme morale qui fera fraterniser les entrepreneurs et le prolétariat.

L'un des premiers à porter son attention sur l'activité économique pour analyser les sociétés, Saint-Simon a donné une œuvre diverse et ambiguë, qui a inspiré les libéraux comme les socialistes.

Saint-Simon (Louis de Rouvroy, duc de),

pair de France et grand d'Espagne (Paris 1675 - id. 1755).

Ce filleul de Louis XIV ne sert dans l'armée royale que l'espace d'une décennie : dès 1702, il se partage entre son château de La Ferté-Vidame et Versailles, où, en 1710, la nomination de son épouse comme dame d'honneur de la duchesse de Berry le pourvoit d'un logement. Mais, si l'on en croit une confidence qu'il fit à l'abbé de Rancé, c'est vers 1694 qu'il s'est assigné pour mission d'observer la cour et d'en percer les cabales. Dès cette époque aussi, éclate sa passion des préséances, qui le conduit, sa vie durant, à défendre le rang des ducs et pairs, que ce soit contre le maréchal de Luxembourg, les bâtards de Louis XIV ou le parlement de Paris, lors de l'affaire du Bonnet. Mais le « petit duc » est avant tout une tête politique : élevé dans le culte de Louis XIII, dont son père avait reçu les bienfaits, il blâme Louis XIV de la ruine du royaume et de l'avilissement de la noblesse, et le presse, dans la Lettre anonyme au roi, de « gouverner autrement » ; dévot, il réprouve la révocation de l'édit de Nantes et la destruction de Port-Royal et se range d'emblée parmi les opposants à la bulle Unigenitus. Or, la mort du duc de Bourgogne, en 1712, ruine les Projets de gouvernement qu'il lui attribue, mais qui sont d'abord les siens et le situent « dans la longue tradition d'un humanisme chrétien visant à accorder aux droits de la nation ceux du prince et ceux de l'aristocratie » (Yves Coirault). Pour en finir avec le « règne de vile bourgeoisie », il se rapproche du régent Philippe d'Orléans, promeut la polysynodie, mais voit son influence au Conseil de régence - où il est entré en 1715 - s'effriter à mesure que grandit la faveur de Dubois ; ses seules satisfactions lui sont fournies par le lit de justice du 26 août 1718, qui réduit le duc du Maine et le comte de Toulouse à leur rang de pairs, et par son ambassade extraordinaire en Espagne, en vue du mariage de Louis XV avec l'infante, qui lui procure la grandesse. La mort du Régent, en 1723, lui ouvre une retraite définitive, entièrement vouée à l'écriture : entre différents travaux relatifs aux ducs et pairs, il annote, entre 1729 et 1738, le Journal du marquis de Dangeau, que lui a communiqué le duc de Luynes, puis consacre toute la décennie 1740 à la rédaction de ses Mémoires. Les deuils qui l'accablent (la mort de son épouse, en 1743, puis celles de ses deux fils, en 1749 et en 1754) n'entament pas d'une once la haine que lui inspirent, par-delà le tombeau, Mme de Maintenon, Vendôme, Noailles et quelque trois mille de ses contemporains de la cour de Louis XIV et du Régent, dont il s'est fait, selon le mot de Sainte-Beuve, le « Tacite à la Shakespeare ».

saint-simonisme,

mouvement de pensée divers, inspiré par l'œuvre du comte de Saint-Simon.

Après la mort de l'auteur du Nouveau Christianisme se constitue autour de la revue le Producteur (1825-1826) un groupe, les saint-simoniens, dont la plupart n'ont pas connu le philosophe. De son œuvre, ils ont retenu l'élaboration d'une théorie de l'histoire qui oppose la société féodale, consacrée à la guerre, à la société industrielle, non encore advenue, consacrée au travail ; ils ont retenu l'appel aux industriels et aux savants à lutter pour l'établissement du système industriel, régime de prospérité et de liberté. Ils ont aussi été marqués par l'orientation religieuse de la dernière partie de l'œuvre de Saint-Simon, dans laquelle ce dernier annonce que la religion seule peut gouverner les hommes et constituer le lien social de la société industrielle.

L'école saint-simonienne réaffirme que le but de l'humanité est l'exploitation du monde par l'industrie, et prône l'association des producteurs et l'organisation de la production. Après 1826, elle se transforme en « Église » autour de deux « Pères », Saint-Armand Bazard et Prosper Enfantin. Les saint-simoniens plaident alors pour l'amélioration du sort matériel et moral de la classe la plus pauvre, l'émancipation des femmes, et pour une société où chacun recevrait « selon sa capacité, et chaque capacité selon ses œuvres ». Ils appellent à une réforme de la propriété privée, légitime seulement lorsqu'elle est détenue par ceux qui produisent des richesses.

L'appel au sentiment, à la régénération de l'humanité par l'amour prend une place croissante dans les préoccupations de l'« Église », qui connaît de nombreux schismes et se resserre autour de la personnalité charismatique d'Enfantin, retiré au « couvent » de Ménilmontant avec ses disciples en 1831. L'« Église » est dissoute en 1832, au terme d'un procès intenté à Enfantin pour association illicite et outrage aux mœurs. Le saint-simonisme est alors institutionnellement mort, mais garde une influence chez les socialistes qui sont passés par l'école, comme Leroux ou Buchez. Par ailleurs, il nourrit un intérêt pour l'Orient, qui se marque aussi bien dans le voyage d'Enfantin et des « Compagnons de la femme » en Égypte de 1833 à 1837, que dans la formation du conseiller de Napoléon III pour la politique arabe, Ismaïl Urbain. Enfin, la célébration des bienfaits de l'industrie et du libre-échange, ainsi que le souci d'organiser la production inspirent certains industriels et banquiers sous le Second Empire (Ferdinand de Lesseps, les frères Pereire) et une partie de la politique économique du régime, politique mise en œuvre par un professeur d'économie et saint-simonien de la première heure, Michel Chevalier. C'est dans cette acception « industrialiste » et pratique que le terme « saint-simonisme » est encore utilisé.