Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Carolingiens. (suite)

Quand Pépin meurt en 714, c'est avec de grandes difficultés que son fils Charles, né d'une union de second rang, sauve l'héritage, menacé de toutes parts par la rébellion des vaincus de la veille. Mais, une fois les positions de son père rétablies (vers 720), il se lance dans une ambitieuse politique militaire et civile. Maître de la Gaule du Nord, il mène des campagnes répétées et brutales en Germanie (d'où son surnom de « Martel », marteau), dont il veut intégrer (ou réintégrer) les peuples dans le royaume des Francs. Il porte ensuite la lutte en Gaule du Sud-Est, où les grands ont assis leur indépendance. Il utilise de préférence l'armée de ses propres vassaux, auxquels il concède, en bénéfices, des terres confisquées aux églises, afin qu'ils aient les moyens de s'armer pour le combat à cheval. Ces mesures lui sont amèrement reprochées, mais il trouve bientôt l'occasion de se présenter comme le champion de la chrétienté, lorsque, sollicité par le duc Eudes d'Aquitaine confronté aux musulmans d'Espagne, il les terrasse près de Poitiers, peut-être le 25 octobre 732. Parfois appelé « prince des Francs », voire « vice-roi », Charles, qui a pris l'habitude de choisir les comtes et les évêques parmi ses propres fidèles, adopte une attitude quasi régalienne quand, avant de mourir en 741, il partage ses pouvoirs entre ses fils Carloman Ier et Pépin III (« le Bref », suivant la tradition). Aussitôt, les deux frères se lancent dans une politique de réforme religieuse et d'approfondissement de la christianisation, en réunissant des conciles placés sous l'autorité de l'évêque missionnaire d'origine anglo-saxonne Boniface. Ils se rapprochent ainsi des élites spirituelles du clergé et de la papauté. Aussi, quand Pépin devient en 747 seul maire du palais, après que son frère a choisi de se faire moine au Mont-Cassin, il peut songer à déposer Childéric III, le dernier Mérovingien, et à devenir roi.

Pépin III est alors l'homme le plus puissant d'Occident. Il dispose d'atouts multiples : fortune patrimoniale augmentée par des confiscations et des butins ; réseau de fidélités que les victoires font toujours plus nombreuses ; contrôle politique des trois quarts de la Gaule et de la Germanie par le quasi-monopole des nominations comtales et épiscopale ; service de propagande même, qui, par le relais des monastères affidés, célèbre les mérites d'une lignée qui a donné à Dieu non seulement son bras armé contre l'Infidèle, mais encore plusieurs de ses saints (Arnoul, porté sur les autels sitôt après sa mort ; ou encore Gertrude, fille de Pépin Ier) ; caution du pape Zacharie, enfin, qui, sollicité par une ambassade franque, assure que, pour Dieu, doit être roi celui qui détient la réalité du pouvoir.

De la royauté à l'Empire : l'apogée carolingien (751-830)

Après avoir déposé Childéric III en 751, Pépin III se fait donc acclamer roi par le peuple en armes. Surtout - innovation à la portée considérable -, il ajoute au rituel d'intronisation militaire hérité de la tradition franque une cérémonie religieuse empruntée à la monarchie wisigothique et, en deçà, à la royauté juive de l'Ancien Testament : il est sacré par l'onction des évêques, ce qui le fait roi par la grâce de Dieu. Trois ans plus tard, en 754, ce geste est repris par le pape Étienne II, venu trouver Pépin au cœur de son royaume pour requérir son aide contre les Lombards qui assiègent Rome ; à la suite de tractations au terme desquelles Pépin s'engage à conduire une expédition militaire en Italie, Étienne II le sacre de nouveau, à Saint-Denis, mais cette fois en même temps que ses deux jeunes fils, Charles et Carloman II, garantissant ainsi la pérennité de la dynastie. Deux campagnes sont nécessaires à Pépin pour libérer l'Italie centrale et pour créer, grâce au renfort permanent d'une garnison franque, le Patrimoine de Saint-Pierre (756) : ainsi se trouve durablement scellée l'union de la nouvelle monarchie et de la papauté. Jusqu'à la fin de son règne, Pépin III parachève l'unification du royaume des Francs en soumettant l'ensemble de l'Aquitaine, et approfondit l'œuvre de christianisation naguère entreprise avec son frère aîné, diffusant en particulier l'influence romaine en matière de liturgie et d'organisation ecclésiale. C'est un royaume assurément renforcé qu'à sa mort, en 768, il transmet à ses fils, associés depuis leur enfance à la royauté.

Devenu seul roi à la mort de Carloman II en 771, Charles (Carolus magnus, Charlemagne) donne une ampleur nouvelle à la politique héritée de ses ancêtres. Il légifère abondamment, afin d'assurer l'ordre et la paix sociale, et il multiplie les conquêtes. Ainsi, appelé à l'aide par le pape, de nouveau victime des agressions lombardes, il se rend en Italie, vainc le roi lombard, et se fait proclamer souverain à sa place (774), créant un régime d'union personnelle entre les deux royaumes. Au prix de campagnes répétées et acharnées (772-799), il soumet les Saxons, dernier peuple de Germanie à échapper encore au pouvoir des Francs, et il achève de rassembler tous les autres peuples, qui avaient pu jusqu'alors garder quelque autonomie, dans le système normalisé de l'administration franque. Il met au pas les Avars (795-796), peuple des steppes installé en Pannonie et qui semait le trouble dans le Bassin danubien. Certes, sa première expédition espagnole se solde par l'échec de Roncevaux, où son arrière-garde est massacrée par les Basques (778), mais son fils Louis, roi délégué en Aquitaine, conquiert en son nom Barcelone (801), faisant de la Catalogne une Marche d'Espagne. Ainsi, aux alentours de 800, Charlemagne se trouve maître d'un territoire immense, de la Marche du Danemark à la Marche d'Espagne, de la Marche de Bretagne à la Marche de l'Est (Ostmark, plus tard Österreich). Peut-être certains esprits cultivés de son temps le jugent-ils aussi puissant que les anciens empereurs romains ; en tout cas, il ne leur paraît pas insensé d'envisager pour lui la restauration d'un empire en Occident, empire disparu depuis 476.