Philippe IV le Bel
Si le règne de Philippe le Bel, au tournant des XIIIe et XIVe siècles, constitue une période essentielle de l'histoire médiévale, la figure du souverain et les modalités d'exercice de son pouvoir restent sujettes à controverses.
Le roi a-t-il abandonné la réalité du pouvoir à des conseillers manipulateurs, comme on l'a souvent prétendu ? A-t-il été, au contraire, un lointain précurseur de la monarchie absolue ? Ces questions importent moins, en définitive, que le double processus qui s'accomplit sous son règne : l'affirmation de l'entière liberté du royaume à l'égard de la papauté, et la spécialisation croissante de structures étatiques qui dotent le pays d'une administration plus souple et plus efficace.
La politique extérieure
Né à Fontainebleau en 1268, fils de Philippe III le Hardi et d'Isabelle d'Aragon, héritier de la couronne depuis la mort de son frère aîné Louis (1276), Philippe IV le Bel - ainsi surnommé, de son vivant, en référence à sa haute stature et à la régularité harmonieuse de ses traits - est âgé de 17 ans lorsqu'il monte sur le trône, à la mort de son père, le 5 octobre 1285. La France est alors le royaume le plus peuplé de la Chrétienté, et jouit d'une indéniable prospérité économique ; le renforcement du pouvoir monarchique, amorcé un siècle plus tôt par Philippe Auguste, lui donne les structures d'un véritable État, vivifié par les prémices du sentiment national. Dès son mariage avec Jeanne de Navarre, en 1284, Philippe s'est considéré comme le seigneur du royaume de Navarre et de son fief, la Champagne. L'un de ses premiers soucis, en politique extérieure, est de mettre un terme à la guerre de conquête dans laquelle son père, entraîné par Charles d'Anjou et le pape Martin IV, s'est enferré en Aragon. Un traité conclu en 1291 à Tarascon le délivre de cette vaine entreprise.
Philippe le Bel n'a peut-être pas cherché, comme on l'a parfois prétendu, à faire coïncider le domaine royal avec les frontières naturelles de la France. Il ne concentre pas moins ses efforts sur les grands féodaux dont la puissance, dans le Sud-Est et le Nord, constitue un défi et une menace pour l'autorité royale : en l'occurrence, le duc de Guyenne - qui n'est autre que le roi d'Angleterre, Édouard Ier - et le comte de Flandre. La guerre avec Édouard Ier commence en 1294. Après une procédure strictement féodale, plusieurs fois éprouvée au cours des deux siècles précédents, et qui consiste à citer le roi d'Angleterre devant le tribunal royal pour le déclarer déchu de ses fiefs français, les troupes de Philippe IV envahissent la Guyenne. Le roi d'Angleterre compte parmi ses alliés la Bretagne et l'Empire, tandis que Philippe jouit du soutien des Bourguignons et des Écossais. Cette guerre franco-anglaise connaît une étrange conclusion : alors qu'il est sur le point de s'assurer de la possession de la Guyenne, Philippe le Bel s'en remet à l'arbitrage du pape Boniface VIII, qui prône le retour au statu quo. En application du traité de Montreuil-sur-Mer, conclu le 19 juin 1299, le roi de France marie sa sœur Marguerite à Édouard Ier, tandis que sa fille aînée, Isabelle, se fiance au futur Édouard II, qu'elle épousera en 1308. Le traité sera confirmé par la paix de Paris, le 20 mai 1303.
L'accord avec Édouard Ier s'explique vraisemblablement par la volonté d'en découdre avec le comte de Flandre, Gui de Dampierre, en l'isolant de son allié anglais. Soutenant la grande bourgeoisie des villes flamandes contre le comte, Philippe envoie ses troupes en Flandre en 1297 et, après la victoire de Furnes (23 juin), place ce comté sous administration royale - sans toutefois l'annexer. Gui de Dampierre se constitue prisonnier. Fort des nombreux appuis qu'il compte dans la bourgeoisie flamande, Philippe ne doute pas un instant que le pays est conquis, et nomme Jacques de Châtillon au poste de gouverneur. Mais les méthodes d'administration brutales de ce dernier lui attirent la haine du peuple et aboutissent aux sanglantes et mémorables « matines de Bruges » (18 mai 1302), au cours desquelles plusieurs dizaines de Français sont massacrés. L'humiliation est insupportable pour le roi de France, qui envoie aussitôt ses chevaliers contre les milices urbaines flamandes, retranchées derrière un canal à Courtrai. L'affrontement - le 11 juillet - se solde par un désastre du côté français, et reste inscrit, dans l'histoire militaire du Moyen Âge, comme l'un des rares exemples de victoire éclatante d'une infanterie formée d'artisans et de bourgeois sur la chevalerie du roi. Philippe ne peut naturellement tolérer ce nouvel affront, plus mortifiant encore que le précédent : le 18 août 1304, à Mons-en-Pévèle, il prend sa revanche au cours d'une bataille à laquelle il participe lui-même. Les Flamands, vaincus, signent alors la paix d'Athis-sur-Orge (23 juin 1305), qui impose à leurs villes de lourds tributs ainsi que l'occupation militaire de certaines places, et exige le démantèlement des remparts des principales cités. Plusieurs années seront nécessaires au règlement définitif de la question de Flandre. La paix de Pontoise (11 juillet 1312) restitue le comté à Robert de Béthune, fils de Gui de Dampierre, mort entre-temps, et incorpore au domaine royal les châtellenies de langue française (Lille, Douai et Béthune).
Si l'extension du royaume ne revêt pas sous le règne de Philippe le Bel des proportions spectaculaires, le souverain ne se livre pas moins à un travail patient, souvent retors, de rassemblement des terres françaises. La mort de son épouse Jeanne, en 1305, fait échoir la Navarre et la Champagne au domaine royal. Multipliant avec une grande habileté tactique acquisitions, conventions domaniales et confiscations, Philippe annexe successivement Chartres (1286), la Marche et Angoulême (1308). À l'Est, il s'approprie plusieurs terres d'Empire : le duc de Lorraine et le comte de Bar lui prêtent hommage - le premier pour les châtellenies de Neufchâteau, Châtenois, Montfort, le second pour Bourmont, La Mothe, Gondrecourt et Ligny. En 1312, il fait reconnaître sa souveraineté sur Lyon. Il rêve même d'une hégémonie de la France sur l'Europe et soutient à deux reprises - mais en vain - une candidature française à la couronne impériale : en 1308, celle de son frère Charles de Valois et, en 1313, celle de son fils, le comte de Poitiers.