Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

crises démographiques. (suite)

La crise de subsistances se révèle donc très inégalitaire sur le plan social : elle ne touche les classes moyennes que dans leur bourse, et pas du tout les plus riches, qui, parfois même, en profitent, grâce à la vente spéculative de grain. Cependant, la réalité est rarement aussi simple. En effet, l'entassement de miséreux vivant dans des conditions d'hygiène épouvantables entraîne souvent le développement de maladies contagieuses, si bien qu'il s'avère très difficile de déterminer avec précision ce qui tue réellement, sinon en recourant à la très juste formule de l'historien Marcel Lachiver : « C'est la misère qui tue », tout simplement.

« A peste, fame et bello, libera nos, Domine ! »

• Dans ce contexte, mais, parfois, indépendamment de tout problème de subsistances, se répandent, à certains moments, de terribles épidémies de peste. La plus célèbre, la Peste noire (1348), a pu faire disparaître, localement, jusqu'au tiers de la population. La maladie reste endémique jusque vers 1640, avec des poussées souvent locales mais responsables de pertes terribles, atteignant 10 % et, parfois, jusqu'à 20 % de la population d'une paroisse : une violence qu'illustre bien le retour localisé de la peste à Marseille, en 1720. La gloire macabre de la peste - telle que le terme entre dans l'usage pour désigner à peu près toutes les maladies contagieuses - ne doit pas, cependant, faire oublier l'autre terrible tueuse qu'est la dysenterie. Cette dernière ravage en particulier les provinces de l'Ouest, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Si l'on ajoute que les soldats peuvent propager l'épidémie, et, parfois, provoquer une crise de subsistances localisée en détruisant les récoltes, on comprend la prière qui associe les trois maux : « De la faim, de la peste et de la guerre, libère-nous, Seigneur ! »

Un terrible bilan, à nuancer

• . Il est difficile de mesurer avec précision l'effet global de ces crises démographiques, faute, on s'en doute, de documents statistiques ; cette ignorance nuit certainement encore à une juste perception de leur importance. Une dysenterie telle que celle qui frappe la haute Bretagne, le Maine et l'Anjou en 1639 fait quelque 100 000 victimes. Il s'agit d'une petite crise, à l'échelle régionale, qui ne laisse des traces que dans les ouvrages spécialisés. La grande crise de subsistances de 1693-1694 entraîne, quant à elle, un déficit d'environ 280 000 naissances et, surtout, tue quelque 1 300 000 personnes dans une France qui compte à peu près 22 millions d'habitants. Marcel Lachiver souligne que, toutes proportions gardées, c'est autant, en deux ans, que les victimes françaises de la Première Guerre mondiale, et sensiblement autant que toutes celles des guerres de la Révolution et de l'Empire... Un tel exemple - probablement la plus terrible des crises de subsistances - permet de mesurer à quel point la découverte de la réalité des crises démographiques conduit à réévaluer notre perception du passé, en particulier celle du « Grand Siècle » de Louis XIV.

La disparition des crises dues à la famine

• . Il est vrai, cependant, que la comparaison avec des drames plus récents rencontre vite ses limites. Ces crises démographiques frappent, en effet, des populations capables de combler rapidement au moins une partie des vides, grâce à une très forte natalité. En outre, une bonne partie de la France voit disparaître ces crises à partir du milieu du XVIIIe siècle. Les progrès, si modestes soient-ils, de l'hygiène, de la médecine, de l'agriculture, des transports, de l'administration, en cumulant leurs effets, expliquent largement une évolution essentielle dans un domaine au moins : après l'effroyable hiver de 1709, on ne meurt plus de faim en France, et les famines deviennent de simples disettes. Le reste est une question d'hygiène, d'état sanitaire - les terribles effets du choléra en 1832, et à plusieurs autres reprises au XIXe siècle, apparaissent comme la rançon de l'entassement urbain -, ou bien le fruit des guerres, qui, à partir de la Révolution et de ses armées de conscription, commencent à tuer beaucoup d'hommes. Les esprits, eux, demeurent marqués bien plus longtemps. L'émotivité des populations face à la moindre menace de famine joue ainsi un rôle très important au XVIIIe siècle, y compris durant la Révolution : la foule qui, en octobre 1789, ramène de Versailles à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » (le roi et sa famille), fait déterminant pour la suite des événements révolutionnaires, prouve que la mémoire des ventres est bien plus forte que les constats cliniques tirés des registres paroissiaux.

croisades.

Expéditions massives menées par l'Occident chrétien contre les musulmans d'Orient, les croisades ont d'abord pour but la reconquête de la Terre sainte et la libération des Lieux saints de Jérusalem.

On distingue traditionnellement huit croisades entre 1095 et 1270, auxquelles il convient d'ajouter de nombreuses autres expéditions, de moindre envergure. Des premières bandes de pèlerins à l'organisation militaire des expéditions, l'esprit des croisades - vœu de pénitence, promesse de récompenses spirituelles - marque de son sceau la Chrétienté ; il correspond à ce moment, à la fois mémorable et sans lendemain, où la papauté tente d'unifier l'Europe sous la bannière théocratique. L'idée de croisade naît à la fin du XIe siècle de la conjonction de facteurs politiques, sociaux et religieux. Sur le plan politique, il s'agit de la menace que font peser sur l'Empire byzantin les Turcs Seldjoukides récemment convertis à l'islam et qui mettent en déroute à Manzikert (1071) les armées byzantines. L'avance des Turcs jusqu'aux rives du Bosphore conduit l'empereur de Constantinople à demander une aide militaire à l'Occident chrétien. Dès 1074, le pape Grégoire VII envisage d'organiser une expédition pour secourir l'Empire d'Orient et reconquérir Jérusalem, aux mains des musulmans depuis 638. Toutefois, le conflit qui oppose, sous son pontificat, la papauté à l'Empire germanique (Henri IV) ne permet pas la réalisation de ce projet. Son successeur, le pape français Urbain II, répond favorablement à une probable demande d'aide militaire de l'empereur grec Alexis Comnène (1095), espérant sans doute obtenir par ce moyen une réconciliation avec l'Église d'Orient (orthodoxe), brouillée depuis l'excommunication par Rome du patriarche de Constantinople en 1054. À la fin du concile de Clermont, le 27 novembre 1095, Urbain II lance aux chevaliers présents un appel à partir pour Jérusalem afin d'y libérer les Lieux saints et, en particulier, le Saint-Sépulcre, et de venir ainsi au secours des chrétiens d'Orient récemment chassés de leurs terres par les Turcs. L'aspect social de cet appel rejoint les questions de paix abordées au concile de Clermont : faute de pouvoir extirper la « guerre privée » des mœurs des chevaliers, le pape tente de leur fournir un exutoire en rappelant que la guerre entre chrétiens est périlleuse pour l'âme alors que le combat contre les infidèles est méritoire. Ce faisant, il oppose la chevalerie du siècle (militia saeculi) à la nouvelle chevalerie du Christ que constituent les croisés. L'expédition revêt ainsi un double aspect religieux, à la fois pèlerinage et guerre sacralisée. C'est un pèlerinage, car l'expédition a pour but Jérusalem, le tombeau du Christ ; ceux qui y prennent part se nomment eux-mêmes pèlerins. Urbain II, tant à Clermont que dans ses lettres ultérieures, insiste sur ce caractère de pèlerinage pénitentiel ; il a en effet prescrit aux chevaliers d'entreprendre ce voyage « pour le pardon de leurs péchés ». Mais c'est aussi une « guerre juste », selon les critères de saint Augustin, précisés et systématisés par les canonistes des XIe et XIIe siècles (Gratien). Elle a pour but l'aide aux frères d'Orient et la reconquête des terres jadis chrétiennes prises par la force ; elle doit, en outre, être entreprise sans mobiles d'intérêts matériels, sur les ordres d'une autorité légitime, celle du pape, qui prétend ici agir en tant que chef d'une Église confondue avec la chrétienté tout entière. Pour cette même raison, la croisade revêt des traits de « guerre sainte » (ou, mieux, « sacralisée ») et, en tant que telle, elle donne lieu à des promesses de récompenses spirituelles : l'indulgence des péchés confessés pour ceux qui partent et, très probablement, la promesse du paradis, à l'instar des martyrs, pour ceux qui viendraient à périr sous les coups des infidèles.