Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Henri IV (suite)

Protecteur et dominateur des Églises réformées

La « paix de Monsieur » (août 1576), si elle entraîne un rapprochement avec Henri III, lui permet surtout, par des chevauchées constantes, de marquer de sa présence tant son gouvernement de Guyenne que ses terres patrimoniales, et de rassembler un entourage dans lequel cohabitent des conseillers ou des militaires calvinistes et catholiques. Parmi les calvinistes, trois personnages se distinguent : François de La Noue, Philippe Duplessis-Mornay et Maximilien de Béthune. En outre, dès l'assemblée de Montauban de 1577, Henri de Navarre est proclamé protecteur de l'union des protestants et des catholiques. Il dirige en personne les opérations militaires qui conduisent à la paix de Bergerac (17 septembre 1577), pourla signature de laquelle il impose des représentants choisis par lui.

Cette montée en puissance du roi de Navarre dans la politique du royaume transparaît dans le voyage qu'entame Catherine de Médicis, à la fois pour amener Marguerite jusqu'à lui et pour négocier l'application de la paix. Le 28 février 1579 est signé le traité de Nérac, à l'occasion duquel Henri de Navarre montre ses capacités pour modérer les exigences de son parti : il parvient à faire accepter aux siens l'abandon de leur revendication de la liberté de culte dans tout le royaume, en échange de l'octroi de places de sûreté. L'installation de Marguerite à Nérac rétablit fictivement l'unité du couple royal, et n'empêche pas le Béarnais, en vertu d'une dénonciation des infractions à la paix, de reprendre les armes, de s'illustrer en s'emparant de Cahors en mai 1580, et de mener des opérations en Guyenne. Le 26 novembre, seul, au nom des huguenots, et malgré l'opposition de Condé, il conclut la paix de Fleix, qui confirme le traité de Nérac. Surtout, il parvient à faire approuver sa décision par l'assemblée des représentants des Églises réformées réunie à Montauban : il se fait le défenseur de la « sujétion » au roi de France, reconnu de droit divin, et se voit confirmé dans sa mission de « protecteur » auquel est due l'obéissance de tous - à commencer par celle des grands, comme Condé ou Turenne. Son but est alors de recréer par la paix les conditions de l'exercice de son gouvernement de Guyenne, et tout se passe comme si Henri était un « vice-roi » (Jean-Pierre Babelon). Fin mars 1582, cependant, intervient une rupture avec Marguerite - qui rejoint la cour de France et n'en reviendra qu'en avril 1584 -, tandis que le roi de Navarre est sous l'emprise amoureuse de Corisande, comtesse de La Guiche.

Héritier et adversaire du roi de France

La mort du duc d'Anjou en juin 1584 replace Henri au cœur des luttes, toujours dans une pratique de l'ambiguïté. Le couple d'Henri III et de Louise de Vaudémont demeurant sans enfant, il se retrouve en situation d'héritier présomptif, selon les règles de dévolution de la couronne déterminées par la loi salique, et en tant que cousin au vingt-deuxième degré du roi régnant. Il est alors en butte à une virulente campagne de libelles ourdie par les ligueurs, qui lui dénient, parce qu'il est « hérétique », de pouvoir revendiquer le trône, s'appuyant sur la promulgation, par le pape Sixte Quint d'une bulle (1585) qui l'a déclaré privé de ses droits à la couronne. Henri est accusé de projeter l'éradication du catholicisme, et son entourage doit s'engager dans un combat polémique acharné, dirigé contre ceux qui sont appelés les « ennemis du royaume » de France, les princes étrangers soupçonnés de vouloir imposer au pays une tyrannie espagnole ; surtout, Henri de Navarre doit faire le choix de la guerre après l'édit du 18 juillet 1585 par lequel Henri III révoque tous les édits de pacification antérieurs et interdit l'exercice du culte réformé. Il radicalise sa position face à la politique royale, et, après avoir refusé l'abjuration qu'est venue réclamer de lui Catherine de Médicis lors des conférences de Saint-Brice (décembre 1586), il décide d'un effort de guerre planifié, qui met à contribution les Églises calvinistes mais aussi ses propres revenus patrimoniaux. Fort de l'appui de certains princes catholiques et grâce à une intense action diplomatique, il s'installe à La Rochelle et parvient à défaire l'armée royale commandée par Joyeuse à Coutras (20 octobre 1587). Cette victoire concrétise son image de « nouveau David », et lui offre un répit au cours duquel, tout en menant des actions de guérilla qui lui permettent d'étendre sa zone d'influence en Poitou, il renforce ses positions dans son gouvernement.

Roi de droit divin et roi de la Raison

Après les mises à mort des frères Guise, c'est au Plessis-lès-Tours, le 30 avril 1589, qu'Henri de Navarre conclut un accord décisif avec Henri III, en vue d'une réconciliation et d'une action militaire commune contre les ligueurs parisiens. Henri III, mourant, le reconnaît comme son légitime successeur (1er-2 août) ; grâce à une déclaration dans laquelle il fait la promesse de maintenir la religion romaine dans son intégrité, et qui lui permet de rallier une partie de la noblesse royaliste, le Béarnais engage aussi la lutte contre la Ligue. Il commence par lever le siège de Paris, puis porte ses efforts vers la Normandie, où il parvient à remporter la victoire d'Arques (21 septembre) sur l'armée du duc de Mayenne.

Son combat se déroule également au travers d'une polémique dirigée contre la propagande des ligueurs : celle-ci dénie toute légitimité à son autorité, en vertu d'une « loi de catholicité », et en appelle au tyrannicide pour éliminer un usurpateur « hypocrite et menteur ». Au contraire, le discours « navarriste » présente le nouveau souverain, d'une part, comme un roi de droit divin et, d'autre part, comme un « nouveau David ». Cet envoyé providentiel a pour mission de restaurer la paix dans le royaume contre des ligueurs mus uniquement par leurs passions et leurs ambitions personnelles, par la volonté de plonger le royaume dans une guerre civile qui s'achèverait par sa destruction et favoriserait le passage sous la domination tyrannique de l'Espagne catholique. En refusant de le reconnaître comme roi, la Ligue offense Dieu et se révèle animée par un sentiment antinational, d'autant qu'à partir du mois de mars 1590 elle reçoit un renfort militaire espagnol. La propagande henricienne insiste aussi, à partir d'une double référence néostoïcienne et prophétique, sur l'idée que le nouveau roi est l'expression du Destin. De ce fait, sa victoire est inévitable, et les Français, plutôt que de tenter de résister à l'ordre des temps - incarné en l'« Hercule gaulois », qui va, grâce à lui, voir le royaume passer du chaos ligueur à un âge d'or -, doivent adopter une attitude de contrôle des passions inhérentes à leur angoisse face à l'avenir. L'obéissance est dite « nécessaire », car nul n'est en mesure de s'opposer au destin ; dès ces années, la royauté guerrière et héroïque d'Henri IV apparaît comme un système absolutiste au sein duquel le roi doit accomplir seul ce qui de toute éternité doit être accompli, les Français devant se plier à l'ordre qui va être mis en place. La restauration de la paix, œuvre d'une royauté de la Raison, passe donc par un clivage entre l'exercice royal d'une autorité absolue et un désengagement politique des sujets.