philosophe, érudit et moraliste (Le Carla, comté de Foix, aujourd'hui, Carla-Bayle, 1647 - Rotterdam 1706).
L'itinéraire philosophique de Pierre Bayle exprime la crise de la conscience européenne de la seconde moitié du XVIIe siècle. Fils de pasteur, de confession protestante, il est menacé par la monarchie de Louis XIV. Mais, refusant de contester radicalement l'absolutisme et favorable à une religion modérée, le philosophe est également attaqué par les théologiens calvinistes alors qu'il défend la tolérance religieuse.
En rupture avec le milieu réformé, il se convertit au catholicisme à l'âge de 21 ans, sous l'influence des jésuites du collège de Toulouse. Mais, peu après, il se confesse auprès de quatre pasteurs, dont son frère Jacob, et se réconcilie avec la religion de sa famille. Considéré désormais comme relaps, il doit s'exiler. Il se fixe en 1675 à Sedan, où il enseigne la philosophie, dans la célèbre académie protestante de la ville, jusqu'à sa fermeture par Louis XIV, en 1681. Il quitte alors définitivement la France pour s'établir à Rotterdam. Il se consacre à l'enseignement et à la publication de ses écrits, stigmatisant les superstitions qui subsistent dans les pratiques chrétiennes (Lettre sur la comète, 1682). Entre 1684 et 1687, il diffuse une revue littéraire, les Nouvelles de la République des lettres, qui connaît un succès européen. À partir de 1695, il publie un Dictionnaire historique et critique, avec l'intention de corriger les opinions fausses véhiculées à travers l'histoire et consignées notamment, selon lui, dans le dictionnaire historique de l'abbé Moreri (1674). Il en résulte une critique érudite et sèche, mais aussi une dénonciation des préjugés qui provoquent, par exemple, les chasses aux sorcières. Son examen des hérésies aboutit à une relativisation des religions révélées et à la condamnation de toute forme de fanatisme. La raison n'étant pas capable de répondre au paradoxe de l'origine du mal dans un monde créé par un Dieu à la fois infiniment bon et tout-puissant, Bayle réserve les choses spirituelles à la singularité de la foi. Si bien que, dans la Continuation des pensées diverses (1704), le philosophe manifeste une tolérance universelle, au point de reconnaître aux athées une morale sociale. Bien qu'interdit en France et critiqué par le théologien calviniste Pierre Jurieu, héros de la résistance protestante, le Dictionnaire est publié jusqu'en 1702, atteignant seize volumes. La pensée paradoxale de Bayle explique que les philosophes des Lumières l'aient considéré comme un agnostique masqué, alors que l'historiographie récente le définit plutôt comme un fidéiste sincère.