Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Église (suite)

Aussi, la Réforme de Luther et de Calvin, qui se propage en France durant le deuxième tiers du XVIe siècle, constitue-t-elle, à bien des égards, une ecclésiologie alternative. En plaçant au cœur de la vie religieuse la foi et l'Écriture (sola fide, sola scriptura), et en affirmant le principe du sacerdoce universel des fidèles, les réformateurs privilégient la lecture et la méditation de la parole de Dieu par rapport à la vie sacramentelle (bientôt restreinte au baptême et à la célébration de la Cène) ; ils abolissent toute forme de hiérarchie sacrale entre clercs et fidèles, nient l'autorité des évêques et du pape, réduisent pour l'essentiel le ministère pastoral à l'enseignement et à la prédication, récusent (jusqu'à l'iconoclasme) tout mode de médiation ou d'intercession à travers le culte de la Vierge et des saints, la pratique de la confession auriculaire, la piété indulgenciaire ou le pèlerinage, dénient toute efficacité salutaire à la comptabilité des messes, des prières et des œuvres. La structure ecclésiale du protestantisme français, telle que la met en place le premier synode des Églises réformées (1559), se fonde sur les articles de la confession de foi calvinienne (symbole de La Rochelle, 1571). Elle institue un système décentralisé de communautés de fidèles, dotées d'une très large autonomie et organisées en synodes provinciaux et nationaux.

L'Église du concile de Trente

Face à l'ecclésiologie réformée, le concile convoqué par la papauté de 1545 à 1563, avec la participation tardive mais décisive de l'épiscopat français, développe une ecclésiologie traditionnelle (au sens où elle revendique la continuité de la tradition de l'Église antique et médiévale) dont les lignes de force, les formules et les équilibres vont nourrir l'ecclésiologie catholique jusqu'au milieu du XXe siècle. La doctrine tridentine réaffirme ainsi avec vigueur les principes d'unité, d'universalité, de perpétuité et de visibilité d'une Église fondée sur l'enseignement de Jésus-Christ et la tradition ininterrompue des Pères et des papes, successeurs de Pierre sur le siège apostolique, indéfectiblement assistée de l'Esprit saint. Le concile définit une société hiérarchique formée à partir d'une distinction d'ordre sacramentel (la consécration sacerdotale ou sacrement de l'ordre) ; il consolide l'autorité du pape sur l'Église universelle et l'autorité ordinaire des évêques dans leurs diocèses, confirme l'excellence de la vie religieuse monacale ou conventuelle, accentue l'importance de la formation théologique et intellectuelle des clercs à travers l'institution des séminaires ainsi que l'exigence de la catéchèse et de la prédication ; il place la pratique des sacrements (confession et eucharistie ; baptême, confirmation, mariage et extrême-onction) au cœur de la vie religieuse des fidèles, réaffirme la pleine légitimité du culte de la Vierge et des saints, des images et des reliques, de la prière pour les vivants et pour les morts, des œuvres de charité et des pèlerinages dans la quête du salut.

L'Église gallicane - l'ordre du clergé reçoit solennellement les décrets du concile de Trente aux états généraux de 1615 - va s'efforcer, durant deux siècles, de faire pénétrer l'ensemble de l'édifice doctrinal et des prescriptions du concile dans son organisation et sa pratique. La multiplication des séminaires diocésains et le relèvement de la formation du clergé séculier, la catéchèse et la prédication, le renouveau des instituts réguliers d'hommes et de femmes ainsi que de la vie spirituelle et dévotionnelle, la mission intérieure et étrangère constituent les principaux axes de la réforme catholique en France. L'Église gallicane se singularise cependant, au sein de la catholicité, par son étroite subordination au pouvoir monarchique (déclaration des Quatre Articles, 1682) et sa rigidité en matière de théologie morale (condamnation du laxisme et de la casuistique par l'Assemblée du clergé de 1700) ; elle conduit un âpre et intolérant combat contre la minorité protestante (révocation de l'édit de Nantes, 1685) et contre le parti janséniste (destruction de l'abbaye de Port-Royal-des-Champs, 1709).

La crise de cette Église gallicane est déjà perceptible dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Face aux projets réformateurs de la monarchie administrative (institution, en 1766, de la « commission des réguliers », chargée de la réforme du clergé régulier), au jansénisme parlementaire (expulsion de la Compagnie de Jésus en 1764) et aux contestations radicales des philosophes des Lumières, l'Église est déchirée par des tensions internes, mais aussi par les changements politiques et sociaux. La Révolution provoque en effet un profond bouleversement : nationalisation des biens du clergé (novembre 1789), suppression des ordres religieux (février 1790) et institution, à travers la Constitution civile du clergé (juillet 1790), d'une forme d'Église nationale, séparée de Rome, profondément transformée dans ses structures et sa discipline, et placée sous le régime de l'élection des évêques et des prêtres par les fidèles. Cependant, au terme d'une sanglante phase de persécution religieuse (3 évêques et 230 prêtres sont massacrés à Paris en septembre 1792, plus d'un millier de prêtres, religieux et religieuses, exécutés en l'an II et sous le Directoire), et à travers les missions clandestines du clergé réfractaire, l'ecclésiologie tridentine s'impose. Elle est consacrée à nouveau par le cadre du Concordat et des articles organiques de 1802, conclus entre le pape Pie VII et le Premier consul Bonaparte. Sous la tutelle tantôt libérale, tantôt hostile de l'État, le catholicisme intransigeant vit un « été de la Saint-Martin du catholicisme tridentin » (Charles Hippolyte Pouthas), marqué par le renforcement de l'autorité de Rome comme centre de l'unité catholique (concile Vatican I et proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale, 1870), la consolidation de la structure cléricale, sacramentelle et dévotionnelle de la vie religieuse, le développement exceptionnel des missions. Les lois de laïcisation des années 1880, puis de la séparation des Églises et de l'État de 1905, contraignent les autorités ecclésiastiques à rechercher de nouveaux équilibres avec l'État (refus des associations cultuelles, 1906 ; organisation des associations diocésaines et « second ralliement », 1922). Néanmoins, elles ne viennent pas bouleverser fondamentalement l'organisation interne de l'Église.