Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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monuments aux morts.

Des stèles ont été érigées entre 1871 et 1914 pour rendre hommage aux victimes de la guerre franco-prussienne, mais c'est après 1918 que quelque 36 000 monuments aux morts sont élevés dans toutes les communes.

Si l'on tient compte des diverses plaques gravées ou sculptures placées dans de nombreux lieux publics ou privés dans les années 1920 (écoles, entreprises, églises, etc.), il faut multiplier ce nombre par au moins quatre ou cinq.

L'idée d'édifier des monuments aux morts naît pendant la guerre même : l'affichage dans les mairies de simples listes de noms de soldats tombés au combat apparaît, en effet, comme un hommage trop médiocre. La génération perdue doit être célébrée dans une « scénographie » tragique, où l'on note une unité de temps - le 11 novembre, devenu fête nationale en 1922 -, de lieu - le monument aux morts - et d'action - la cérémonie commémorative. Dans la plupart des cas, on choisit pour ce cénotaphe la forme d'une pyramide ou d'un obélisque.

Une célébration tragique de la patrie.

• Sur les monuments, porteurs d'un « message », des mots sont gravés : « en-fants », « morts », « héros », « guerre », « 1914-1918 », « devoir », « sacrifice », « martyrs », « mémoire », sont ceux qui reviennent le plus souvent. La longue liste des soldats morts renforce l'impression lugubre. L'ordre alphabétique, généralement retenu, accentue l'uniformité, proche de celle des cimetières militaires où reposent les corps. Présentées comme des œuvres d'art au service du souvenir, la plupart des stèles honorent les soldats, combattants courageux et victorieux, qui ont accompli leur devoir pour la patrie et la République. Ces braves incarnent une guerre aseptisée, sans boue ni sang. Mais la mort ne peut être déguisée. C'est pourquoi, comme pour la faire oublier, les sculpteurs insistent sur l'armement et sur l'uniforme, bandes molletières comprises. Cette terrible dualité - la mort et le courage, ou la mort et la victoire - est au cœur des commémorations. On n'oublie pas non plus que les non-combattants ont joué un rôle fondamental. Les monuments rappellent qu'il a fallu croire, combattre et travailler pour « tenir ». Ils sont une illustration en pierre et en bronze de l'« union sacrée » : au sommet, un coq, qui représente la patrie à laquelle on croit avec ferveur ; au centre, le combattant ; au pied du monument, les civils, femmes ou enfants, qui observent l'exemple du soldat ou vaquent à leurs tâches quotidiennes. Mais cette guerre a été chèrement payée, et les œuvres découvrent une curieuse généalogie : elles sont dédiées « à nos enfants », qui ne sont autres que les pères des enfants qui viennent honorer les héros disparus.

Dans les territoires ravagés par les combats, les monuments constituent de véritables réquisitoires. Les civils y ont été doublement victimes, comme parents de combattants, et parce que leurs villes et villages ont été détruits. Cathédrales dévastées, populations en fuite, otages, mines inondées : tout le cortège des malheurs de la guerre est représenté. Très rarement - guère plus d'une dizaine de cas sur le territoire français -, les monuments deviennent ouvertement pacifistes, portant par exemple l'inscription : « Que maudite soit la guerre ».

Le monument est aussi un lieu de regrets. Les veuves, les orphelins, les parents de ceux qui ne sont pas revenus, y sont figurés, en deuil. Foi religieuse et ferveur patriotique sont perçues comme complémentaires. Sur les monuments, tout comme sur les vitraux du souvenir des églises, le soldat chrétien rejoint le sacrifice du Messie en une imitatio Christi. Quand la mère du combattant, nouvelle Vierge Marie, retrouve son fils et le tient dans ses bras, le monument devient une pietà.

Tous les Français ont vécu une véritable « imitation de la patrie ». La plupart des monuments révèlent la complexité de la situation, pendant et après la guerre. Exalter l'héroïsme devait aider les veuves, les orphelins, les survivants des tranchées à faire face. Par l'édification des monuments, on a en quelque sorte utilisé les sacrifices des disparus pour rendre l'après-guerre plus supportable.

Moreau (Jean Victor),

général (Morlaix, Finistère, 1763 - Laun, Bohême, 1813).

Ce fils d'un avocat de Rennes sert immédiatement la Révolution. En 1791, il est élu lieutenant-colonel du 1er bataillon des volontaires d'Ille-et-Vilaine. Son ascension est rapide. Général de division, il remplace son ami Pichegru au commandement de l'armée du Nord, en 1795. L'année suivante, à la tête de l'armée de Rhin-et-Moselle, il avance jusqu'à Munich. Mais la défaite de Jourdan le contraint à reculer. Républicain modéré, il se rapproche des royalistes. Après le coup d'État anti-royaliste du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), il est mis à l'écart.

En 1799, il reprend du service en Italie. Sollicité par Bonaparte, qui prépare son coup d'État, Moreau accepte de jouer un rôle secondaire. Il est récompensé par le commandement de l'armée du Rhin et d'Helvétie, et sa victoire à Hohenlinden (3 décembre 1800) parachève les succès qu'a remportés Bonaparte en Italie. Le Premier consul ne parvient pas à contrôler ce général orgueilleux et populaire qui ne cesse de le critiquer. Sans que Moreau le veuille, les opposants à Bonaparte se rassemblent derrière lui. En 1804, il est accusé d'avoir pris part au complot royaliste fomenté par Pichegru et Cadoudal. Faute de preuve, il est condamné à une courte peine. Furieux, Bonaparte l'exile. En 1812, Moreau vit aux États-Unis, lorsque le tsar lui propose de servir la coalition contre l'Empire. Il est mortellement blessé au cours de la bataille de Dresde (1813).

Morny (Charles Auguste Louis Joseph, duc de),

homme politique (Paris 1811 - id. 1865).

Fils naturel de la reine Hortense et du comte de Flahaut - lui-même fils naturel de Talleyrand -, il est ainsi par sa mère le demi-frère de Louis Napoléon Bonaparte. Il fait ses études au collège Bourbon avec le duc de Chartres, participe à 19 ans à la révolution de 1830, et commence une carrière militaire facilitée par ses relations. Il sert en Algérie, puis revient à Paris en 1838, abandonne l'armée et se lance dans l'industrie. Il fonde une prospère raffinerie de sucre dans le Puy-de-Dôme ; elle le place parmi les hommes d'affaires les plus en vue du moment et lui permet d'être élu député orléaniste en 1842. Il s'éloigne toutefois du régime, dont il devine la fin prochaine. Dès 1849, il parvient à rétablir sa fortune, gravement compromise par la révolution de 1848. Cette même année, il est élu député et travaille activement pour son demi-frère, dont il est devenu l'un des principaux conseillers. C'est lui qui prépare le coup d'État du 2 décembre 1851 et qui l'exécute avec sang-froid et énergie comme ministre de l'Intérieur. Morny est ainsi étroitement lié à l'événement qui fonde le Second Empire. Certes, la confiscation des biens de la famille Orléans l'oblige à démissionner en janvier 1852, mais son rôle demeure de tout premier plan et dépasse largement ses fonctions officielles. Il est fait duc en 1862. Excepté une parenthèse, de 1856 à 1857, pendant laquelle il exerce la fonction d'ambassadeur à Saint-Pétersbourg, Morny préside le Corps législatif de 1854 à sa mort. Il tient en main son Assemblée, tout en exerçant cette charge avec une certaine mansuétude. Il plaide pour un adoucissement du régime auprès de l'empereur et engage ce dernier sur la voie des réformes. Lorsque Morny meurt, usé par une vie de travail, Napoléon III perd celui qui était le plus à même de l'aider à libéraliser l'Empire.