Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
P

protohistoire (suite)

Enfin, au cours du IIIe millénaire, de nouvelles différences sociales se font jour, dont témoignent les premiers tumulus. La métallurgie poursuit son développement, même si le silex fait encore l'objet d'une exploitation intensive, comme le fameux silex jaune du Grand-Pressigny, en Touraine, qui, peut-être déjà, est un substitut du métal, exporté à des centaines de kilomètres. On assiste surtout à la diffusion, dans des régions très diverses, de deux types successifs de poteries : la céramique « cordée » d'abord, présente du Bassin parisien à l'Ukraine et au Danemark ; puis la céramique « campaniforme », attestée en poches discontinues de l'Espagne à la Hollande et de l'Angleterre à la Hongrie (en France, elle est fréquente principalement dans l'Ouest et le Midi). On ignore encore si la diffusion tient au déplacement de populations entières ou de groupes plus restreints, voire à l'existence de simples réseaux d'échanges.

Le rôle de la métallurgie

C'est en tout cas sur le fond campaniforme que se met en place, vers 1800 avant J.-C., l'âge du bronze. Sa première partie n'est marquée par aucune différence sensible, technique ou socio-économique, par rapport au chalcolithique. La métallurgie reste d'ailleurs discrète. Mais l'espace européen se stabilise en une série de provinces culturelles, dont la différenciation perdurera presque jusqu'au seuil de notre ère. La France est elle-même divisée : sa frange sud-ouest se rattache à l'Espagne, tout comme sa frange sud-est à l'Italie. La façade atlantique est classiquement regroupée avec les îles Britanniques au sein d'un grand « complexe atlantique », connu au début de l'âge du bronze par ses riches tombes princières, aussi bien en Bretagne que dans le Wessex. Enfin, le quart nord-est constitue, avec l'Allemagne du Sud, la Suisse, l'Autriche et la Bohème, le « complexe nord-alpin » au sein duquel vont peu à peu émerger les Celtes.

Cependant, ce n'est qu'à l'âge du bronze moyen, vers le milieu du IIe millénaire, et surtout au bronze final, de 1200 à 750 avant J.-C. environ, que la métallurgie fait un bond spectaculaire. Les possibilités du métal sont enfin développées, avec l'apparition de nouvelles armes (épées, cuirasses, casques, jambières) et de nouveaux outils ; les sites fortifiés continuent à s'édifier, quadrillant tout un territoire de villages et de fermes ; les tombes princières sont bien présentes, tandis que l'existence de « dépôts », où s'accumulent parfois jusqu'à plusieurs centaines d'objets en bronze intacts ou brisés, témoigne de l'importance de la thésaurisation de biens précieux.

L'âge du bronze s'ouvre sans rupture, vers 750 avant J.-C., sur le premier âge du fer, ou « période de Hallstatt ». Le fer est d'abord un bien précieux, réservé à la confection d'épées - dont la résistance est nettement supérieure à celle des épées de bronze - et même de bijoux (torques, bracelets, fibules). Au cours du VIe siècle avant J.-C., certains sites fortifiés prennent le pas sur les autres. Ce sont les « résidences princières » qui, en Allemagne du Sud et en France de l'Est, s'échelonnent régulièrement - tous les 60 kilomètres environ - sur des emplacements favorables, et constituent l'amorce éphémère d'un phénomène proto-urbain. Elles sont en général entourées de tombes princières. En France, la plus célèbre de ces résidences princières est celle du Mont-Lassois, en Côte-d'Or. C'est à ses pieds que fut découverte la tombe de Vix, avec son immense vase de bronze. La richesse de ses occupants s'explique sans doute par leur situation dans la haute vallée de la Seine, contrôlant le commerce de l'étain entre la Grande-Bretagne et le monde méditerranéen. De fait, la recherche de matières premières par les commerçants et prospecteurs grecs, étrusques, phéniciens, carthaginois puis romains va jouer un rôle essentiel dans l'évolution socio-économique des populations sises sur le territoire français.

Vers des sociétés urbaines

Si les résidences princières du nord-est de la France s'effondrent au début du Ve siècle, avec le début du second âge du fer (période de La Tène), le commerce méditerranéen joue un rôle très important en Provence et en Languedoc, d'autant que des Grecs fondent la ville de Marseille (600 avant J.-C.), qui implantera à son tour ses propres colonies (Nice, Antibes, Olbia, etc.). Les indigènes commencent à adopter un certain nombre de traits culturels du monde des cités : architecture, urbanisme, fortifications, et même boisson (vin). Toute la côte méditerranéenne se couvre de sites fortifiés d'importance variable et sans doute en compétition les uns avec les autres. Ce sont les oppidums du Midi, qui ont fait l'objet de nombreuses fouilles systématiques, comme à Nages, Ambrussum, Martigues, Entremont, Saint-Blaise, Ensérune, etc.

À l'aube du IVe siècle avant J.-C., l'ensemble du complexe nord-alpin, dont le quart nord-est de la France, est très densément peuplé. Cette situation débouche sur de vastes mouvements migratoires qui voient les tribus celtes atteindre la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie (c'est le fameux siège de Rome par les Gaulois sous la conduite de Brennus), la Grèce et même la Turquie, où ils fondent le royaume des Galates, constituant longtemps une menace pour le royaume de Pergame. Dans certains cas, les Celtes se mêlent aux indigènes, formant les Celto-Ligures de Provence ou les Celtibères d'Espagne. Le détail de ces mouvements n'est pas toujours clair. Ainsi, en Languedoc, la nécropole de l'oppidum d'Ensérune a livré de nombreuses armes ou parures typiquement celtiques, tandis que l'on a retrouvé des textes en langue ibérique.

Une fois stabilisés, ou même repoussés (comme en Italie), ces mouvements laissent intacts la question démographique. Aussi, dès le milieu du IIe siècle, des oppidums apparaissent à leur tour dans le nord de la France. C'est cette configuration que rencontrent les Romains lorsqu'ils entreprennent sous la conduite de César, à partir de 58 avant J.-C., la conquête de l'ensemble de la Gaule jusqu'au Rhin, après avoir conquis le Midi et formé la province de Narbonnaise. Une soixantaine de « peuples » gaulois indépendants et souvent rivaux, appuyés sur une structure déjà en partie urbaine et utilisant une économie monétaire, se partagent le territoire. Cette relative complexité sociale explique sans doute que le monde romain a pu assimiler avec une certaine facilité l'univers celtique, et le faire passer ainsi de la protohistoire dans l'histoire. Mais on peut lire aussi les grandes invasions, survenues quatre siècles plus tard, comme une revanche des sociétés européennes - restées « protohistoriques » - sur l'histoire.