gauche (suite)
La gauche libérale a ainsi tenu, avec quelque retard, la plupart des promesses de 1789. Mais elle s'inquiète des menaces d'une extrême gauche radicale et surtout socialiste. Après s'être en partie intégrée au Bloc des gauches, au début du XXe siècle, pour défendre la République contre le cléricalisme et une extrême droite agressive, elle passe définitivement dans le camp des droites une fois le régime républicain enraciné.
La gauche radicale
Les jacobins.
• Dès 1790-1792, les « patriotes » les plus ardents, groupés en particulier dans le Club des jacobins (du nom du couvent où il tenait séance, à Paris) et d'autres sociétés populaires, et soutenus par les sans-culottes (le peuple révolutionnaire, celui des villes, surtout), accusent les modérés de tendre vers un compromis avec les forces d'Ancien Régime. Sous la pression des sans-culottes, après l'insurrection du 10 août 1792, la République est proclamée, et le suffrage universel masculin, instauré. En l'an II, au prix d'une répression brutale (la Terreur), ces patriotes parviennent à sauver la République de l'invasion et de la subversion intérieure, tout en ébauchant une politique de démocratie sociale. À partir de l'été 1794, la réaction thermidorienne met fin à cette brève expérience, dont le souvenir va pourtant rester vivace : il contribue à maintenir la méfiance des libéraux modérés à l'égard des mouvements populaires et des « démagogues » ; il inspire, au cours du siècle suivant, ceux qui souhaitent reprendre l'œuvre interrompue des « grands ancêtres », et réaliser une complète émancipation du peuple.
Le radicalisme militant.
• C'est ainsi que la tradition jacobine survit dans le parti républicain durant la monarchie de Juillet, appelé aussi « parti radical » (le terme, venu d'Angleterre, garde alors toute sa force), et dont les éléments les plus activistes déclenchent les insurrections manquées de 1832 et 1834, et la révolution de février 1848. Très vite, les radicaux s'élèvent contre l'évolution rétrograde de la IIe République. Sous le nom de « montagnards » (qui désigne, en l'an II, l'aile gauche de la Convention), ils forment avec les socialistes le parti démocrate-socialiste, dont le programme prévoit d'importantes réformes en faveur des couches populaires. Aux élections de mai 1849, ils sont majoritaires dans une quinzaine de départements du Centre et du Midi, et obtiennent près d'un tiers des voix dans l'ensemble du pays. En 1851, ils sont les instigateurs des tentatives de réaction au coup d'État du 2 décembre, et les principales victimes de la répression qui s'ensuit. Le radicalisme renaît à la fin du Second Empire. Au printemps 1871, il se divise entre une extrême gauche, qui domine la Commune, et une tendance légaliste, qui cherche en vain la conciliation entre celle-ci et Versailles.
Récusant définitivement la violence, c'est par la seule voie électorale que les radicaux entendent désormais conquérir le pouvoir. Généralement issus des classes moyennes, et trouvant des appuis dans la petite bourgeoisie, le peuple des villes et, de plus en plus, des campagnes détachées de la pratique religieuse, ils critiquent la prudence timorée des opportunistes, dénoncent l'influence néfaste de l'Église, affirment leur solidarité envers les « petits » contre les « gros » et les « monopoles », et nombre d'entre eux, comme en 1848-1851, acceptent volontiers l'épithète « socialiste », tout en condamnant un collectivisme qui menacerait les libertés. Parvenus au pouvoir en 1902, dans le Bloc des gauches, ils mènent une action vigoureusement anticléricale, qui aboutit à la séparation des Églises et de l'État (1905).
Le radicalisme gestionnaire.
• Organisé en 1901 de manière à associer les militants aux élus et aux notables, le Parti républicain, radical et radical-socialiste devient, pour une trentaine d'années, la première force politique française, dominée, à la veille de la guerre, par Joseph Caillaux, et, dans l'entre-deux-guerres, par Édouard Herriot et Édouard Daladier. Il continue à réclamer des réformes sociales (dont l'impôt sur le revenu, voté en 1914), mais tend à devenir un parti gestionnaire. Il hésite entre l'alliance à gauche, avec les socialistes - contre la « réaction » et, plus tard, le « fascisme » - et la « concentration » avec la droite libérale - pour défendre l'ordre républicain face au danger de révolution qu'incarne, après 1920, le communisme marxiste-léniniste. En 1938, sous la pression de leur base sociale (chefs de petites et moyennes entreprises, paysans propriétaires), les radicaux mettent fin au Front populaire, et se reclassent au centre droit, où ils se maintiennent, mais dans une position diminuée, au début de la IVe République.
Le déclin.
• Cependant, assez nombreux sont, parmi eux, ceux qui restent fidèles à la tradition de gauche du parti. Ainsi Pierre Mendès France et ses amis, qui parviennent - pour peu de temps - à imposer leurs vues en 1955 : alliance avec les socialistes, modernisation volontariste de l'économie, décolonisation. Il en résulte une scission avec des éléments désormais enracinés au centre droit (Edgar Faure). Rassemblés durant une décennie (1962-1972) dans l'opposition au gaullisme, les radicaux se divisent durablement, en 1972, face au programme commun socialo-communiste. Les uns y adhèrent : c'est le Mouvement des radicaux de gauche (devenu Radical en 1994, puis Parti radical socialiste en 1996). Les autres le repoussent, préférant s'allier aux centristes, et s'intégrer, finalement, au début de 1978, dans cette confédération de la droite non gaulliste qu'est l'UDF. Resté à gauche ou passé à droite, le radicalisme s'est marginalisé (moins de 5 % des voix dans les années quatre-vingt-dix), à la suite de la dispersion de son électorat traditionnel, qui s'oriente vers les formations conservatrices (ainsi pour les classes moyennes non salariées) ou vers un socialisme devenu lui-même plus modéré.
La gauche socialiste
De Babeuf à la Commune.
• Tout comme le radicalisme, le socialisme trouve son origine lointaine dans la crise de la fin du XVIIIe siècle. C'est en 1796 que Gracchus Babeuf tente de préparer une nouvelle révolution dirigée contre les « riches », et visant à établir l'égalité réelle par l'instauration de la communauté des terres et des produits. Au siècle suivant, Auguste Blanqui est, jusqu'à sa mort, l'apôtre du « communisme » que pourrait réaliser une minorité organisée s'emparant du pouvoir par l'insurrection. Mais, à l'époque romantique, les « prophètes » du socialisme croient plutôt aux vertus de la propagande et de l'exemple pour parvenir à une transformation sociale : Saint-Simon et ses disciples voudraient confier à un État aux mains des producteurs le soin d'organiser l'économie dans l'intérêt du plus grand nombre ; Fourier et les phalanstériens souhaitent généraliser les coopératives de production et de consommation ; Proudhon, les mutuelles au service des paysans et des artisans ; Louis Blanc, des ateliers sociaux autogérés avec le concours de l'État. Devenu une force politique par une importante adhésion ouvrière au printemps 1848, et à nouveau à la fin du Second Empire (avec l'essor des chambres syndicales et de l'Internationale), ce socialisme prémarxiste subit durement les répressions consécutives aux grands mouvements de juin 1848 et de la Commune de 1871. À cette dernière date, beaucoup le considèrent comme anéanti.