union sacrée, (suite)
Les divisions surmontées.
• Si la formule a eu un tel impact, c'est que les Français de 1914 se perçoivent comme profondément désunis, du fait des graves querelles politiques de l'époque, relatives notamment aux questions de défense. L'« union sacrée », sans mettre fin aux divergences, permet néanmoins une série d'accords destinés à faire passer celles-ci au second plan pendant la durée d'une guerre qu'on imagine courte. Droite et gauche s'entendent alors sur un point fondamental : une France attaquée doit être défendue. L'union se fait dans un premier temps contre l'agression, dans un second temps contre l'envahisseur qui occupe une partie du sol « sacré » de la patrie. Une trêve des luttes politiques s'instaure très rapidement. L'assassinat de Jaurès en donne le signal tragique, comme en témoigne la « une » de la Guerre sociale du 1er août : « Défense nationale d'abord ! Ils ont assassiné Jaurès ! Nous n'assassinerons pas la France ! » Le matin du 4 août, devant la tombe de Jaurès, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, abandonne le pacifisme au nom de la démocratie et de l'espoir de la fraternité socialiste : « Empereurs d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie, hobereaux de Prusse et grands seigneurs autrichiens qui, par haine de la démocratie, avez voulu la guerre, nous prenons l'engagement de sonner le glas de votre règne. » L'« union sacrée » n'a évidemment pas la même signification pour les socialistes et pour les nationalistes : ces derniers espèrent surtout la défaite de la nation allemande et la revanche de la France. Mais l'ardeur patriotique est telle que l'état-major, qui s'attendait à avoir au moins 13 % de réfractaires, n'en décompte que 1,5 %, un pourcentage considéré comme infime.
De la mystique nationale à la négociation.
• Le mot « sacré » n'a pas été choisi au hasard par Poincaré. Comme l'« amour sacré » de la Marseillaise, l'« union sacrée » est une forme de ferveur à la fois nationale et religieuse, à laquelle se joignent des antimilitaristes, les antirépublicains et les cléricaux qui ont été malmenés dans les années précédentes. Socialistes et catholiques vivent, toutes proportions gardées, le même déchirement entre leurs élans universalistes et leur sentiment national : devant l'agression, ils optent avec résolution pour le second. Les 98 députés socialistes, le 4 août, votent à l'unanimité les crédits de guerre, tandis que les membres des congrégations religieuses dispersées rentrent pour s'engager. Tous s'accordent sur un messianisme français, qu'il soit celui de la « République en danger » ou de la « France éternelle de Jeanne d'Arc » ; surtout, ils croient se battre pour la dernière des guerres, celle qui amènera le triomphe de leur cause, la fraternité républicaine ou les valeurs traditionnelles de la patrie, de l'armée ou de la religion.
L'organisation pratique et politique de cette unité n'en est pas moins délicate. On ne parvient à former un cabinet d'« union sacrée » que le 26 août et, durant toute la guerre, les divisions politiques, sociales et religieuses ne manqueront pas. En 1917, l'ardeur « sacrée » des débuts est largement entamée. Pourtant, si des Français - en nombre infime en 1914 et 1915, plus nombreux à partir de 1916 - ont refusé l'« union sacrée », la majorité d'entre eux a consenti jusqu'en 1918 aux efforts considérables exigés par la guerre. C'est sans doute pourquoi le désastre de 1940 peut, en partie, s'expliquer par les désillusions nées de l'« union sacrée », martelées pendant les années 1920 et 1930, à gauche comme à droite.