Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Gaulle (suite)

Tout contesté qu'il soit, Charles de Gaulle retient de plus en plus l'attention des spécialistes. Il publie, en une quinzaine d'années, une série de livres remarquables. Dans la Discorde chez l'ennemi (1924), décrivant la conduite de la guerre par l'Allemagne à la fin du conflit, en 1917 et 1918, il voit la cause de l'effondrement de l'empire dans la substitution du pouvoir militaire au pouvoir politique, seul apte, selon lui, aux décisions suprêmes. Suivront le Fil de l'épée (1932), refonte de ses conférences à l'École de guerre ; Vers l'armée de métier (1934) ; la France et son armée (1938), histoire militaire de la France qui lui vaut de grands éloges, et provoque la brouille avec Pétain. Mais sa carrière est alors bien lancée : ayant, parallèlement à l'écriture, exercé avec talent des commandements en Allemagne occupée, au Liban et à Metz, puis assumé des responsabilités au secrétariat général de la défense nationale, le colonel de Gaulle est, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un officier très en vue.

La croisade pour les chars

D'autant que son nom est désormais attaché à une double campagne : pour la promotion des blindés dans la guerre moderne et pour la professionnalisation de l'armée. Dès 1934, dans Vers l'armée de métier, il présente un plaidoyer pour l'emploi massif des chars d'assaut, en vue de la guerre de mouvement qu'aurait à livrer la France si ses alliés de l'Est européen étaient attaqués par le IIIe Reich, et pour la création d'une armée de professionnels, seuls aptes, selon lui, à utiliser ce type d'armes. Cette campagne, menée avec le soutien de journalistes et de parlementaires, vaut à de Gaulle de nouvelles critiques au sein de l'institution militaire ; mais il reçoit l'appui de l'une des figures marquantes de la vie politique française, Paul Reynaud. Le futur président du Conseil se fait son avocat, mais ne peut vaincre les résistances d'une société politique attachée à la conscription, et, moins encore, d'une armée rétive à toute innovation, et placée sous l'égide du conservateur invétéré qu'est le maréchal Pétain.

Entre-temps, néanmoins, le gouvernement présidé par Pierre Laval a signé, en 1935, un pacte de défense avec l'Union soviétique, qui fait planer sur l'Allemagne la menace d'une alliance de revers. Mais, quand Hitler réoccupe la rive gauche du Rhin, en 1936, puis dépèce la Tchécoslovaquie, en 1938 et 1939, la France, dépourvue de l'arme de riposte, se résigne devant les faits accomplis. Staline en tire la conclusion : les gouvernements de Paris n'étant pas crédibles, il pactise, en août 1939, avec les nazis, désormais libres d'agir à l'ouest.

Le désastre et le gouvernement

Hitler se hâte d'abord d'écraser la Pologne, durant la « drôle de guerre ». Quand il se retourne vers la France, le scénario se déroule conformément aux prévisions de de Gaulle. Les blindés allemands remplissent le type de mission que l'auteur de l'Armée de métier assignait aux forces françaises : ils contournent la ligne Maginot et déferlent sur la France, que les Britanniques, aussi mal préparés que leurs alliés, abandonnent pour refluer vers leur île, réservant leur aviation à la défense de ce sanctuaire.

Au moment où l'armée française s'effondre, le colonel de Gaulle, qui s'est vu confier en catastrophe le commandement de la seule des grandes unités constituée selon ses préceptes, peut enfin démontrer, lors des batailles de Montcornet et d'Abbeville (18 et 30 mai), où il tient tête au célèbre Guderian, l'efficacité opérationnelle de ses vues. Au combat, il est fait général de brigade « à titre temporaire ».

Face à la débâcle, le gouvernement, présidé depuis mars 1940 par Paul Reynaud - qui, au début de juin, a nommé de Gaulle sous-secrétaire d'État à la Guerre -, doit se replier sur Bordeaux. Le 16 juin, Reynaud démissionne et le président de la République, Albert Lebrun, lui substitue le Maréchal Pétain, qui ne fait pas mystère de ses intentions : à peine nommé, il se prononce pour un armistice avec Hitler, décourageant toute défense. Au sein du gouvernement Reynaud, de Gaulle, avant d'être écarté par le maréchal, a multiplié les efforts pour prévenir cette issue, suggérant soit le repli sur le « réduit breton » adossé aux Britanniques, soit le transfert du gouvernement en Afrique du Nord, soit une « union d'États » entre l'Angleterre et la France.

Le 18 juin et « l'esprit de résistance »

Tous ces plans ayant été rejetés, de Gaulle rejoint Londres, le 17 juin, à bord d'un avion mis à sa disposition par le premier ministre Winston Churchill, qui a mesuré la fermeté du général, depuis deux semaines, au cours des conférences interalliées. Et le 18, s'étant vu confier par son hôte le micro de la BBC, de Gaulle lance l'appel qui l'a fait entrer dans l'histoire, appel conclu par ces mots : « La flamme de la résistance française ne s'éteindra pas. »

Au nom de qui parle-t-il, alors qu'en France, Pétain, chef du gouvernement légal, approuvé par la majorité de l'opinion, se résigne à un armistice qui réduit son pays à la vassalité et au dépeçage, avant de substituer à la république un « État français » promis à la collaboration avec l'occupant ? C'est en arguant d'une légitimité insaisissable - il lui revient de la fonder - que, avec le concours de Churchill, de Gaulle invente « la France libre », forte, à l'origine, de quelques centaines d'hommes seulement.

Mais Hitler n'a pas su - ou pu - pousser son offensive à travers la Manche. L'Angleterre, exaltée par son premier ministre, « tient » ; son aviation affirme sa suprématie et la solidarité américaine avec les démocrates ne saurait manquer de se renforcer. Accueillant Maurice Schumann à Londres à la fin de juin, de Gaulle lui déclare que la guerre est gagnée, et que le seul problème est celui de la part que la France prendra à la victoire.

La France libre dans l'épreuve

Pour faire vivre « sa » France libre, de Gaulle dispose d'emblée de trois atouts : son génie verbal qui, porté par les ondes anglaises, va stimuler en France un esprit de résistance qui se manifeste déjà ici et là, et qu'avivent par ailleurs les rigueurs de l'Occupation ; l'alliance anglaise qui, à travers mille péripéties, affirmera sa solidité ; enfin, l'« empire », qu'il appelle à se joindre à lui dès sa première intervention, et dont le ralliement va s'opérer pièce par pièce, en dépit de l'échec subi lors de la tentative de ralliement de Dakar à la France libre en septembre 1940.