monnaie (suite)
Mais ce pouvoir de création monétaire des banques, désormais reconnu par tous les économistes, n'est-il pas excessif ? Sa seule limite réside dans l'obligation faite aux banques d'honorer les retraits de fonds présentés par leurs clients, sous peine de faillite. Aussi les accuse-t-on parfois de nourrir l'inflation en développant leurs crédits bien au-delà des besoins de l'économie. Certes, la Banque de France peut intervenir, en renchérissant ses concours et en imposant aux banques, à leur tour, de diminuer les crédits à leur clientèle. L'État peut aussi, comme en 1958, 1963-1965, 1968-1970, 1973-1985, les obliger à respecter des normes de progression du crédit fixées uniformément pour tous les établissements et toutes les catégories d'opérations : c'est l'encadrement du crédit - une technique ultra dirigiste qui a été remplacée par des mécanismes de marché confiés à la Banque de France, laquelle est dotée, depuis 1993, d'un nouveau statut garantissant son indépendance vis-à-vis de l'État. Aujourd'hui, le libéralisme prévaut en matière de contrôle du crédit, comme dans l'ensemble de la politique économique.
L'État n'intervient donc plus directement dans la création monétaire. Du moins conserve-t-il toutes ses responsabilités en ce qui concerne la valeur de l'unité monétaire par rapport à l'or ou aux devises étrangères. Depuis 1914, cette valeur a dû être modifiée à maintes reprises, faisant réapparaître une instabilité que l'on croyait révolue. Les dévaluations du franc en sont la manifestation principale. Au nombre d'une vingtaine, elles renvoient aux grandes mutations que connaît l'économie, en France et dans le monde : passage de l'étalon or à un nouveau système monétaire international fondé sur des devises clés, elles-mêmes convertibles en or (Gold Exchange Standard, expérimenté une première fois de 1922 à 1931, à la suite de la conférence de Gênes, puis installé durablement de 1944 à 1971, autour du dollar, consacré par la conférence de Bretton Woods) ; adoption des changes flottants, après 1919 et depuis 1973 ; développement de l'inflation, à un rythme qui, en France, a été longtemps supérieur à celui des autres pays industrialisés ; interdépendance croissante des partenaires européens, conduisant à une fluctuation monétaire commune depuis 1972, puis à la création d'une même monnaie pour tous les membres de l'Union qui satisferont aux critères du traité de Maastricht. L'euro assurera-t-il la stabilité mieux que le franc n'a su le faire au cours du XXe siècle ? Et à quel prix ?
La monnaie reste ainsi, plus que jamais, au cœur des interrogations économiques, tant elle a d'implications dans de nombreux domaines. Elle est indissociable de l'indépendance nationale, comme le montrent les débats suscités par les accords de Maastricht. Elle entretient d'étroits rapports avec les équilibres sociaux : sa faiblesse, durant de nombreuses années au cours du XXe siècle, a entraîné la quasi-disparition d'une catégorie sociale entière, celle des rentiers, et l'accentuation des inégalités entre les diverses catégories de salariés ; inversement, sa force, lors de la déflation des années 1930-1935, a profité aux pensionnés, aux retraités, aux épargnants, à tous les détenteurs de revenus fixes. Loin de n'être qu'un « voile », comme l'affirmait Jean-Baptiste Say, la monnaie joue un rôle actif dans l'ensemble de la vie du pays. À travers ses multiples transformations au cours de l'histoire apparaissent de singulières constantes : instrument des échanges, elle échappe souvent à ceux qui la créent ; étalon de mesure, elle ne reste stable qu'au cours de périodes qui, à l'échelle séculaire, sont relativement brèves ; garantie de richesse pour les possédants, c'est d'elle que dépend, en définitive, le sort de tous.