Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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monnaie (suite)

Mais ce pouvoir de création monétaire des banques, désormais reconnu par tous les économistes, n'est-il pas excessif ? Sa seule limite réside dans l'obligation faite aux banques d'honorer les retraits de fonds présentés par leurs clients, sous peine de faillite. Aussi les accuse-t-on parfois de nourrir l'inflation en développant leurs crédits bien au-delà des besoins de l'économie. Certes, la Banque de France peut intervenir, en renchérissant ses concours et en imposant aux banques, à leur tour, de diminuer les crédits à leur clientèle. L'État peut aussi, comme en 1958, 1963-1965, 1968-1970, 1973-1985, les obliger à respecter des normes de progression du crédit fixées uniformément pour tous les établissements et toutes les catégories d'opérations : c'est l'encadrement du crédit - une technique ultra dirigiste qui a été remplacée par des mécanismes de marché confiés à la Banque de France, laquelle est dotée, depuis 1993, d'un nouveau statut garantissant son indépendance vis-à-vis de l'État. Aujourd'hui, le libéralisme prévaut en matière de contrôle du crédit, comme dans l'ensemble de la politique économique.

L'État n'intervient donc plus directement dans la création monétaire. Du moins conserve-t-il toutes ses responsabilités en ce qui concerne la valeur de l'unité monétaire par rapport à l'or ou aux devises étrangères. Depuis 1914, cette valeur a dû être modifiée à maintes reprises, faisant réapparaître une instabilité que l'on croyait révolue. Les dévaluations du franc en sont la manifestation principale. Au nombre d'une vingtaine, elles renvoient aux grandes mutations que connaît l'économie, en France et dans le monde : passage de l'étalon or à un nouveau système monétaire international fondé sur des devises clés, elles-mêmes convertibles en or (Gold Exchange Standard, expérimenté une première fois de 1922 à 1931, à la suite de la conférence de Gênes, puis installé durablement de 1944 à 1971, autour du dollar, consacré par la conférence de Bretton Woods) ; adoption des changes flottants, après 1919 et depuis 1973 ; développement de l'inflation, à un rythme qui, en France, a été longtemps supérieur à celui des autres pays industrialisés ; interdépendance croissante des partenaires européens, conduisant à une fluctuation monétaire commune depuis 1972, puis à la création d'une même monnaie pour tous les membres de l'Union qui satisferont aux critères du traité de Maastricht. L'euro assurera-t-il la stabilité mieux que le franc n'a su le faire au cours du XXe siècle ? Et à quel prix ?

La monnaie reste ainsi, plus que jamais, au cœur des interrogations économiques, tant elle a d'implications dans de nombreux domaines. Elle est indissociable de l'indépendance nationale, comme le montrent les débats suscités par les accords de Maastricht. Elle entretient d'étroits rapports avec les équilibres sociaux : sa faiblesse, durant de nombreuses années au cours du XXe siècle, a entraîné la quasi-disparition d'une catégorie sociale entière, celle des rentiers, et l'accentuation des inégalités entre les diverses catégories de salariés ; inversement, sa force, lors de la déflation des années 1930-1935, a profité aux pensionnés, aux retraités, aux épargnants, à tous les détenteurs de revenus fixes. Loin de n'être qu'un « voile », comme l'affirmait Jean-Baptiste Say, la monnaie joue un rôle actif dans l'ensemble de la vie du pays. À travers ses multiples transformations au cours de l'histoire apparaissent de singulières constantes : instrument des échanges, elle échappe souvent à ceux qui la créent ; étalon de mesure, elle ne reste stable qu'au cours de périodes qui, à l'échelle séculaire, sont relativement brèves ; garantie de richesse pour les possédants, c'est d'elle que dépend, en définitive, le sort de tous.

Monnet (Jean),

homme d'affaires, figure singulière du monde politique et économique, considéré comme le « père de l'Europe » (Cognac, Charente, 1888 - Bazoches-sur-Guyonne, Yvelines, 1979).

Négociant en cognac, puis membre du comité exécutif allié pour la répartition des ressources communes lors de la Première Guerre mondiale, il devient secrétaire général adjoint de la Société des nations (SDN) en 1919 ; mais, peu convaincu par l'action de cette instance internationale, il quitte ses fonctions dès 1923. Commence alors une carrière de financier, au sein de la Bancamarica Blair notamment, au cours de laquelle il contribue à la réorganisation des économies roumaine et polonaise. Inquiet du danger nazi et de la faiblesse de l'armement français, il rencontre le président du Conseil Édouard Daladier en 1938, et est chargé de la présidence du Comité de coordination de l'effort de guerre allié en 1939. Au lendemain de la débâcle de mai-juin 1940, ce Français est nommé diplomate par le gouvernement britannique, et se rend aux États-Unis, où il prend part, en 1941, à l'élaboration du « Victory Program », qui organise l'industrie de guerre américaine. À la demande du président Roosevelt, il rejoint le général Giraud à Alger et entre au Comité français de Libération nationale (CFLN) en 1943. Revenu en France en 1946 après une mission aux États-Unis, il met au point, en tant que commissaire général au Plan, le premier plan quinquennal (1947-1952), qui vise à reconstruire et à moderniser l'économie française. Partisan d'une Europe unie en un État supranational lié aux États-Unis dans le cadre de l'OTAN, il est à l'origine, en 1950, de la Communauté européenne du charbon et le l'acier (CECA), dont il préside la Haute Autorité de 1952 à 1955. Désormais à la tête du Comité d'action pour les États-Unis d'Europe (un organisme privé), il continue d'exercer une grande influence pour promouvoir l'idée européenne. À partir de 1975, il se consacre à la rédaction de ses Mémoires. En 1988, ses cendres sont transférées au Panthéon.

Monsieur (Philippe de France, dit),

second fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche, frère de Louis XIV (Saint-Germain-en-Laye 1640 - Saint-Cloud 1701).

Duc d'Anjou de 1640 à 1660, puis duc d'Orléans à la mort de son oncle Gaston (1660), il subit son sort de cadet avec plus de patience que ne l'avait fait celui-ci. Il est vrai que l'affermissement du pouvoir royal laisse alors peu de place à d'éventuelles intrigues. Marié en 1661 à la charmante Henriette d'Angleterre, sœur de Charles II, aimée de tous et d'abord de son royal beau-frère, il est veuf en 1670. On lui impose un remariage dès l'année suivante : sa nouvelle épouse, la princesse palatine Charlotte-Élisabeth de Bavière, qu'il n'apprécie guère, lui donne un fils, Philippe, le futur Régent. Alors que Monsieur fait preuve d'un réel talent militaire, s'illustrant pendant la guerre de Hollande, battant Guillaume d'Orange à Cassel en 1677, ses succès portent ombrage à son frère, qui le convainc de renoncer aux armes. Dominé par le chevalier de Lorraine et ses autres mignons, Monsieur, privé de rôle politique, n'en est pas moins l'âme de la cour et de ses plaisirs, gardien sourcilleux de l'étiquette. Il séjourne souvent au Palais-Royal, dont il a hérité, car il aime Paris et ses spectacles, que fuit son frère. Il fait de son château de Saint-Cloud un temple du goût et du loisir, contrepoint au Versailles des pompes et du pouvoir : compensations pour un homme fin et cultivé, dévot et scandaleux, victime de son rang de naissance.