Sade (Donatien Alphonse François, marquis de),
écrivain (Paris 1740 - Charenton 1814).
Le « cas » Sade se trouve au confluent d'une crise politique, d'une situation familiale et d'une équation personnelle. La crise politique est celle qui met en cause les anciens privilèges aristocratiques ; la situation familiale est celle de féodaux provençaux ruinés par leur venue à la cour et par des alliances avec les princes du sang ; l'équation personnelle est celle de Donatien, marié, après ses études à Louis-le-Grand et une carrière d'officier durant la guerre de Sept Ans, à une riche héritière de la noblesse de robe. Ses frasques de libertin auraient continué si elles n'avaient, par deux fois au moins, provoqué le scandale : en 1768, à la suite de la flagellation d'une jeune femme, dans une « petite maison », le jour de Pâques, puis, en 1772, à la suite d'une partie fine à Marseille avec son valet et des prostituées, qui se sont cru empoisonnées par des pastilles aphrodisiaques. L'opinion publique, qui se saisit de ces affaires, et l'entêtement du libertin l'emportent finalement sur les protections dont il pouvait se prévaloir : après divers épisodes - fuite, condamnation à mort par contumace, arrestation, évasion, jugement cassé, etc. -, Sade est enfermé par lettre de cachet. Il est libéré à la faveur de la Révolution, avant d'être enfermé à nouveau, pour « modérantisme », en 1793. Thermidor le sauve de la guillotine. L'ordre moral, qui triomphe sous le Consulat et l'Empire, ne peut évidemment que lui être hostile : par mesure de police, Sade est incarcéré en 1801, à Charenton, où il restera jusqu'à la fin de sa vie. Libertin soudain livré à la solitude, il lit et écrit. Son œuvre littéraire cherche à la fois une compensation aux frustrations et une revanche. L'ancien noble déchu se métamorphose en homme de lettres. Il répartit sa création en textes alors impubliables (les Cent Vingt Journées de Sodome, ouvrage révélé au public en 1904), en romans publiés clandestinement sans nom d'auteur (Justine ou les Malheurs de la vertu, 1791 ; la Philosophie dans le boudoir, 1795 ; la Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu, suivie de l'Histoire de Juliette sa sœur, 1797 [en fait 1799-1801]) et en textes reconnus et signés (Aline et Valcour, 1795 ; les Crimes de l'amour, 1800). Cette œuvre, à l'écriture brillante, s'impose par un mélange de recettes littéraires traditionnelles, de crudités pornographiques, de discussions philosophiques paradoxales et provocatrices. Longtemps considérée comme symptôme clinique, tandis que le terme « sadisme » était lexicalisé, elle a été reconnue progressivement comme une création littéraire originale, s'inscrivant entre classicisme et romantisme ; ce n'est pas sa qualité la moins singulière que d'allier, à l'athéisme et au matérialisme des Lumières, l'ancien élitisme aristocratique et la méfiance obsessionnelle de la sexualité propre à la Contre-Réforme.
Saint-Acheul,
site éponyme de l'acheuléen, la plus ancienne civilisation préhistorique attestée sur le sol français.
La localité de Saint-Acheul fait maintenant partie du territoire de la ville d'Amiens (Somme). Située sur un promontoire dominant la confluence de l'Avre et de la Somme, elle a été entamée au siècle dernier par plusieurs carrières d'extraction de graviers et de limons. Dès le milieu du XIXe siècle, des bifaces étaient identifiés et plusieurs fouilles successives eurent lieu, les principales menées par Commont entre 1905 et 1917, dans la carrière dite « Bultel-Tellier ».
Au cours de l'ère quaternaire, la Somme s'est progressivement enfoncée, creusant sa vallée mais déposant en même temps des alluvions sous forme de terrasses, dont les plus anciennes sont donc les plus hautes. Si certains sites ont été localisés dans ces dernières, les vestiges archéologiques trouvés à Saint-Acheul sont inclus, en plusieurs niveaux successifs, dans les alluvions d'une moyenne terrasse, qui doivent dater d'un demi-million d'années environ. Ces vestiges se composent principalement de bifaces en silex, mais les outils sur simples éclats tendent à se développer dans le temps, pour dominer à la période suivante, celle du moustérien (200 000-35 000 ans avant J.-C. environ), au paléolithique moyen. Des vestiges identiques, de niveau comparable, ont été également identifiés dans les carrières de Cagny, à 4 kilomètres de là.
C'est Gabriel de Mortillet qui créa en 1872 le terme d'« acheuléen » pour qualifier la principale civilisation du paléolithique inférieur ; il la faisait encore précéder d'un « chelléen », tombé depuis en désuétude. Si des restes de faune ont été découverts à Saint-Acheul (bovidés, chevaux, éléphants), on n'y a pas trouvé trace d'ossements humains, qui devraient appartenir à Homo erectus.
Saint-Antoine (faubourg),
quartier populaire de l'Est parisien, célèbre pour son industrie de l'ameublement et son engagement révolutionnaire.
Turenne y bat les troupes de la Fronde (juillet 1652), mais c'est la Révolution française qui fait entrer véritablement le « glorieux faubourg » dans l'histoire. Rattaché à Paris depuis 1702, ce quartier pauvre, aux rues étroites et boueuses, abrite, à la fin du XVIIIe siècle, 7 % des Parisiens (43 000 habitants) mais concentre 20 % des indigents de la capitale (environ un tiers des habitants du faubourg sont secourus comme tels pendant la Révolution). La majorité des faubouriens sont occupés dans l'artisanat, et surtout par la fabrication de meubles, même si on trouve aussi quelques manufactures.
Sa réputation de faubourg révolutionnaire naît dès le printemps 1789. En effet, en avril, s'y déroule la première émeute parisienne, contre le manufacturier Réveillon, accusé par la rumeur de vouloir baisser les salaires. Et 70 % des officiels « vainqueurs de la Bastille » sont des artisans et compagnons du faubourg. Le 20 juin 1792, ce sont les sans-culottes des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel (l'autre grand quartier révolutionnaire) qui manifestent contre le roi. Le faubourg Saint-Antoine est encore aux premiers rangs le 10 août 1792 : plus du quart des assaillants tués lors de l'assaut des Tuileries y habitaient. L'intervention des faubouriens n'est pas limitée aux insurrections : à plusieurs reprises, ses trois sections (Montreuil, Quinze-Vingts, Popincourt) adressent à la Convention des pétitions, qui illustrent bien les aspirations des sans-culottes. Au printemps 1795, on s'attend à ce que le faubourg s'insurge contre la Convention thermidorienne : en effet, il joue un rôle décisif dans l'insurrection de prairial an III, mais le 4 prairial, cerné par la force militaire, il capitule, et la répression qui s'ensuit affecte durement son petit peuple.