Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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préhistoire (suite)

Cet intérêt pour les techniques amène aussi les préhistoriens à développer une « archéologie expérimentale », qui s'applique à reconstituer les techniques anciennes, afin de tester les hypothèses archéologiques (taille du silex, métallurgie, etc.). Cette approche s'est doublée d'une « ethno-archéologie », les préhistoriens allant observer les dernières populations traditionnelles, non pour étudier leurs mythologies ou leurs institutions, travail habituel des ethnologues, mais pour analyser leurs techniques, méthode à laquelle les ethnologues sont plus rarement formés. Ces enquêtes se sont attachées aussi à mesurer la relation entre la technique et la société, une technique tenant plus souvent à un choix social et culturel qu'à un niveau de connaissance.

Dans tous les cas, cet ensemble de méthodes nouvelles ne pouvait plus être le fait des archéologues amateurs. À partir des années 1970, l'archéologie se professionnalise fortement, d'autant que l'intérêt du public pour cette discipline va croissant. Les destructions de sites, usuelles dans les années 1950-1970, y compris à Paris même, ne sont plus admises. Les aménageurs doivent financer la fouille des sites qu'ils détruisent et l'archéologie connaît en France, depuis lors, un développement sans précédent.

Les premiers hommes

Les différentes périodes de la préhistoire ne sont cependant pas toutes justiciables du même type d'approche et des mêmes techniques d'observation. Ainsi, les recherches sur l'apparition de l'homme sont dépendantes d'abord des découvertes, notre information restant encore très lacunaire. L'hypothèse d'une origine est-africaine, expliquée par une désertification qui aurait contraint les premiers primates à une plus grande adaptation, a été démentie par la découverte d'un australopithèque près du lac Tchad. L'étude de l'hominisation s'appuie aussi sur l'éthologie des singes dans leur milieu naturel, qui a révélé chez eux une grande complexité sociale, l'existence d'outils, de modes d'apprentissage et même de traditions techniques régionales. Cependant, si l'origine africaine de l'homme reste la seule hypothèse admise, l'arbre généalogique détaillé des premiers australopithèques, tout comme leurs relations génétiques aux grands singes, sont encore en débat. Le fait, probable, qu'ils aient fabriqué des outils n'est pas non plus prouvé.

La date de l'apparition de l'homme en Europe, et donc en France, est également discutée. L'existence d'un « très ancien paléolithique », notamment dans le Massif central, ne s'est pas vraiment imposée. La présence humaine n'est certaine en France qu'à partir de 700 000 ans environ avant notre ère, avec Homo erectus et sa civilisation, l'acheuléen, caractérisée par les bifaces symétriques et la maîtrise du feu (grottes de Lunel). Les premiers restes humains sont très peu nombreux, et ceux de Tautavel par exemple sont assez tardifs (300 000 à 400 000 ans). C'est à partir de 300 000 ans avant notre ère, que les Homo erectus européens évoluent vers l'homme de Néanderthal. Ses productions, beaucoup plus complexes, sont regroupées sous le nom de « moustérien ». Sa morphologie est très proche de celle de l'homme moderne et lui permet le langage articulé ; il creuse les premières tombes, façonne les premières parures (dents perforées, fragments d'os) et ramasse des fossiles ou des cristaux à des fins non utilitaires.

Vers 30 000 ans avant notre ère, Néanderthal et sa dernière civilisation en France, le châtelperronien, cèdent la place à Homo sapiens sapiens, l'homme moderne. Celui-ci serait apparu vers 100 000 ans avant J.-C. en Afrique du Nord-Est, issu des Erectus locaux. Mais le croisement des données de la paléontologie et des analyses génétiques menées sur des hommes d'aujourd'hui ne permet pas encore de proposer un scénario définitif. Ces nouveaux Sapiens pénètrent en Europe vers 40 000 ans avant notre ère, porteurs de l'aurignacien, à un moment où tout le nord du continent est occupé par les glaces et où le climat du Bassin parisien est comparable à celui de l'actuelle Norvège. En France, le peuplement se concentre dans le quart sud-ouest, là où le climat est le plus clément. La morphologie des Sapiens (type homme de Cro-Magnon) et leurs capacités psychomotrices sont semblables aux nôtres. De fait, ils tracent les premières gravures schématiques ou figuratives (animaux), façonnent les premières statuettes. C'est de la période suivante, le gravettien (25 000-20 000 ans avant notre ère), que datent les célèbres « Vénus » (telles, en France, celles de Lespugue ou de Laussel), figurines féminines aux traits sexuels exacerbés, dont le strict canon esthétique, reproduit à l'identique à des centaines de kilomètres de distance, montre qu'elles avaient une fonction sociale certaine et qu'il ne s'agissait pas de simples reproductions naturalistes individuelles.

Les civilisations suivantes, solutréenne (20 000-15 000 ans avant J.-C.) et surtout magdalénienne (15 000-10 000 ans avant J.-C.), voient l'épanouissement de l'art paléolithique, sous la forme d'objets mobiliers (statuettes, plaquettes gravées, propulseurs sculptés) et, bien sûr, de peintures et de gravures rupestres. C'est l'époque où, jusqu'à nos jours, l'homme pénètre le plus profondément à l'intérieur de la terre : plus de deux cents grottes ornées ont été retrouvées dans le sud de la France et le nord de l'Espagne, parmi lesquelles Lascaux, Niaux, Altamira, Font-de-Gaume, le Tuc-d'Audoubert et, pour les plus récemment découvertes, les grottes Cosquer et Chauvet. La stricte organisation des motifs - essentiellement des chevaux et bisons, mais aussi des signes géométriques - à l'intérieur de la grotte, la rareté des représentations de rennes, qui fournissent pourtant l'essentiel de l'alimentation, indiquent que ces grottes fonctionnaient comme des sanctuaires, et non comme de simples habitats. En outre, Leroi-Gourhan a avancé l'idée que la dualité entre les deux principaux animaux représentés recoupait une différence entre féminin et masculin, et servait de support à toute une mythologie.