Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

abbayes (suite)

Après avoir prononcé des vœux d'obéissance, de stabilité et de conversion des mœurs, le moine est avant tout celui qui chante la gloire de Dieu et prie pour le salut des chrétiens, les vivants et les morts. Une prière qui, soutenue par la méditation, s'exprime lors des offices divins. Intercesseur entre l'homme et le sacré, entre l'ici-bas et l'au-delà, le moine recueille les bénéfices de la « communion des saints » ; à cette médiation participent les reliques dont les abbayes sont dépositaires. Les fidèles recourent aux prières des moines, considérées comme les plus efficaces, à l'égal de celles des pauvres. Entre les monastères se constituent des associations de prières ; une parenté spirituelle à laquelle les laïcs peuvent adhérer. Les noms de morts pour qui est chanté l'office sont alors inscrits dans un nécrologe.

Les habitants de l'abbaye.

• La communauté évolue sous la direction d'un supérieur : l'abbé (certains ordres, par humilité, préfèrent le terme de prieur). La règle bénédictine prévoit son élection à vie, mais, selon les périodes, il est parfois désigné par les familles aristocratiques qui avaient fondé l'abbaye, ou par le roi, ainsi qu'en décida le concordat de Bologne, en 1516. La tendance, au XVIIe siècle, fut de limiter la durée de l'abbatiat, alors que, sous la restauration monastique, au XIXe siècle, le choix opposé prévalut.

L'abbé exerce des prérogatives spirituelles et temporelles ; il doit être un père pour ses moines (abba, « père »). Il est secondé par un prieur (éventuellement deux : grand prieur et prieur claustral), qui succède à l'ancien prévôt, ou par un doyen (leurs attributions varient en fonction des coutumes), et par différents officiers (chambrier, cellérier, sacriste, chantre, aumônier, hôtelier, infirmier, maître des novices...). Le Moyen Âge distingue les moines profès, appelés également « moines de chœur » (la plupart sont des prêtres), des convers, qui ne sont pas astreints aux mêmes obligations liturgiques, et dont le statut varie selon les ordres. L'institution des oblats (enfants voués à la vie monastique) ayant décliné dès le XIIe siècle, le renouvellement est assuré par des novices qui, au terme d'une période de formation, font profession, acte qui marque leur admission au sein de la communauté. Le monastère est organisé de manière à limiter les recours à l'extérieur.

Des foyers de culture

Un ensemble architectural.

• L'abbaye, destinée à des hommes qui ont renoncé au monde, est une anticipation de la vie céleste. L'église préfigure la Jérusalem céleste. Élément essentiel et symbolique par son orientation et sa configuration, l'église, ou abbatiale, doit s'adapter à la liturgie. La « cléricalisation » des moines entraîne une multiplication des autels dans les collatéraux et les chapelles absidiales.

Sans être uniforme, le plan des abbayes présente des caractéristiques communes : l'espace monastique est clos ; jouxtant l'église, le cloître, lieu de silence et de méditation, accueille, dans la galerie orientale, la salle capitulaire où se rassemble la communauté pour le chapitre quotidien ; les bâtiments conventuels se répartissent entre le dortoir, le réfectoire, le scriptorium (salle d'études et de copie de manuscrits), le chauffoir, l'infirmerie, la cuisine et quelques annexes. Les hôtes de passage, les pèlerins, sont reçus à l'hôtellerie ou à l'aumônerie. Convers et novices disposent d'installations particulières. Dès la fin du Moyen Âge, le recul de la vie communautaire se traduit par l'existence du logis abbatial et par la généralisation de cellules pour les moines. La vocation érémitique des chartreux a conduit ceux-ci à opter pour de petites maisons avec jardin où les moines vivent seuls durant la semaine, la vie communautaire se limitant à l'église et à la salle capitulaire, tandis que les convers disposent de leur propre bâtiment.

Le patrimoine foncier des abbayes est mis à mal lorsque l'Assemblée constituante décrète, le 2 novembre 1789, que tous les biens ecclésiastiques sont « à la disposition de la Nation ». La survivance de nombreux édifices n'est due qu'à leur transformation en pensionnats, ateliers, ou, sous l'Empire, en maisons de détention (telle l'abbaye de Clairvaux, en 1808). Au début du XXe siècle, les lois sur les congrégations entraînent la confiscation et la liquidation des biens.

Les arts et les lettres.

• Les abbayes prennent une part active dans l'élaboration des différentes formes d'art. Signes du renouveau que connaît l'Occident, les constructions monastiques fleurissent à partir du XIe siècle et diffusent d'abord l'art roman (Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Martial de Limoges, Sainte-Foy-de-Conques, Saint-Sernin de Toulouse, Cluny, Moissac), puis l'art gothique avec Saint-Denis, reconstruit par Suger. Pour ce dernier comme pour les clunisiens, la beauté de l'architecture et de l'ornementation est mise au service de la louange divine : elle permet à l'âme de s'élever jusqu'à Dieu. Cette conception suscite une vive réaction chez les cisterciens qui, à l'instigation de saint Bernard, refusent tout décor peint ou sculpté, tout vitrail de couleur, car de nature à distraire l'esprit des moines. Dans les abbayes cisterciennes se développe alors une esthétique imprégnée de rigueur, d'austérité, de dépouillement, qui privilégie la pureté des lignes (Fontenay, Sénanque, Le Thoronet). Au fil des siècles, les bâtiments conventuels seront souvent réaménagés, ainsi qu'en témoignent les constructions monumentales du XVIIIe siècle. Ces disparités architecturales attestent la pérennité de l'institution.

Jusqu'au XIIe siècle, les abbayes demeurent les hauts lieux de l'élaboration et de la transmission de la culture savante, profane ou sacrée. Après avoir véhiculé l'héritage antique, elles sont l'un des moteurs de la renaissance carolingienne (avec l'adoption d'une nouvelle écriture : la minuscule caroline). C'est dans les scriptoriums que se développent la copie des manuscrits et l'art de l'enluminure (Bible, évangéliaires, sacramentaires). Les invasions normandes, provoquant la fuite des moines, sont à l'origine d'échanges entre différents ateliers d'enluminure. Les moines ne se limitent pas à transmettre un savoir, mais ils élaborent aussi une culture qui se nourrit de l'Écriture sainte, des Pères de l'Église et de l'exégèse biblique. En rédigeant annales, chroniques et recueils de miracles, ils font œuvre d'historiens. Foyers de culture religieuse, littéraire et artistique, leurs bibliothèques se distinguent par la richesse de leurs fonds. L'apport des moines est également décisif dans le domaine de la musique et du chant grégorien. Mais, à partir du XIIe siècle, la culture monastique, tout en demeurant vivante, n'est plus prépondérante. Les écoles, qui avaient atteint un très haut niveau, déclinent ; désormais réservées aux futurs religieux, ou inexistantes dans certains ordres (cistercien), elles sont concurrencées par les écoles cathédrales et, à partir du XIIIe siècle, par les universités. À l'époque moderne, la congrégation de Saint-Maur renoue cependant avec la tradition en accordant la primauté au travail intellectuel.