Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
J

jésuites, (suite)

• La spiritualité de ces enseignants - « l'humanisme dévot » - est directement issue de leur activité pédagogique. Elle est le produit d'une technique, la rhétorique, qui induit chez les élites de nouvelles façons de penser le monde et de communiquer. Le théâtre en est la meilleure expression : il occupe une place considérable dans l'activité des collèges, et permet de diffuser auprès des futurs décideurs, clercs et laïcs, une culture homogène - fondée à la fois sur l'Écriture et sur la culture antique -, des règles de communication, des valeurs intangibles et des modèles de dévotion communs.

Nombre d'auteurs jésuites participent à l'École française de spiritualité. Une grande école mystique se développe jusqu'en 1640, sous l'impulsion de Pierre Coton, confesseur d'Henri IV puis de Louis XIII et de Louis Richeome ; elle élabore une théologie mystique passionnelle, faite de visions et d'ardeurs « extraordinaires », autour des Pères Lallemant, Huby, Surin... Cette floraison mystique, qui influe sur la direction de conscience, est combattue dès 1640-1650, puis à la fin du siècle, lors de l'élimination du quiétisme. La Dévotion au Sacré-Cœur commence cependant à se développer dans ce contexte, sous l'influence de Claude La Colombière (1641-1682) et des révélations de Marguerite-Marie Alacoque (1675).

Les jésuites s'investissent aussi dans les travaux apostoliques. Ils sont des pionniers des missions intérieures : en Velay, Jean-François Régis (1597-1640) reconquiert les âmes protestantes ; en Bretagne, Julien Maunoir organise 375 missions entre 1640 et 1683. Ils utilisent des techniques éprouvées pour obtenir la conversion des foules populaires. Les missions sont prolongées par l'organisation de maisons de retraite spirituelle.

Les jésuites sont également présents dans tous les secteurs scientifiques ; ils participent aussi aux grandes controverses doctrinales du moment. Leur opposition aux jansénistes recoupe deux interprétations de la place qu'occupe le christianisme dans le monde. Pour les jésuites, encore proches du néoplatonisme, l'adaptation de la prédication à la société contemporaine permet de diffuser l'Évangile et de faire reculer le royaume de Satan dans la société civile. Pour les jansénistes, au contraire, le retrait du monde s'impose, car celui-ci est condamné. Le salut passe donc par une rupture radicale.

Une évolution contrastée depuis le XVIIIe siècle.

• L'opposition entre jansénistes et jésuites recouvre l'hostilité que les parlementaires vouent à ces derniers. La banqueroute du Père Lavalette à la Martinique donne au parlement de Paris l'occasion de soumettre les constitutions de l'ordre à un nouvel examen. Devant le refus du général, Louis XV supprime la Compagnie dans ses états en 1764. On compte alors plus de 3 000 jésuites, dont 200 missionnaires partis au loin. À la suite des suppressions partielles (Portugal, 1759 ; Espagne, 1767), le pape Clément XIV dissout la Compagnie en 1773. Elle survit en Prusse et en Biélorussie, où le bref pontifical n'est pas appliqué. De petits groupes se reconstituent ici et là. C'est le cas en France, où, en pleine Terreur, le Père Clorivière (1735-1820, devenu profès en 1773, juste avant la dissolution) établit deux congrégations secrètes : les Prêtres du Cœur de Jésus et la Société des Filles du Cœur immaculé de Marie.

La Compagnie est rétablie par Pie VII en 1814 ; sa province de France compte alors 200 jésuites. La croissance est rapide : 813 en 1844, 2 266 en 1863, 3 000 en 1900, 3 135 en 1939. Elle est suivie d'une décroissance : 2 286 en 1961, dont 486 dans les missions lointaines.

Après le Syllabus (1864), soutenu par les jésuites, qui condamne les idées modernes, l'activité scolaire stagne, mais la Compagnie dispose de vastes églises et d'organes de presse tels que les Études (1856). Elle encadre nombre d'associations de spiritualité locales et de groupes de retraitants par l'Apostolat de la prière, né à Vals, près du Puy, en 1844, et propagé par le Père Ramière (1821-1884), dont l'organe est le Messager du Sacré Cœur. Le souci des problèmes sociaux provoque la naissance d'organismes, tels que l'Action populaire de Reims (1903), qui restent cependant très fermés sur eux-mêmes. C'est le triomphe de la discipline sur l'imagination.

Dès la séparation des Églises et de l'État (1905), on observe le mouvement inverse, qui débouche sur un plus grand investissement dans les domaines de la connaissance scientifique, dont témoigne, par exemple, non sans difficulté, Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Néanmoins, depuis trente ans, la part des jésuites français et européens au sein de l'ordre ne cesse de décliner.

jeu de l'oie.

Selon la légende, ce jeu fut créé pour divertir les Grecs lors du siège de Troie : c'est pourquoi il est d'abord baptisé en France « noble jeu de l'oie renouvelé des Grecs ».

En fait, il naît à Florence vers 1580, sous le règne de François de Médicis. Depuis, les règles sont restées les mêmes : le parcours en spirale, comportant soixante-trois cases, est jalonné de pièges (prison, puits, labyrinthe...). Les joueurs lancent le dé et avancent tour à tour jusqu'au jardin de l'oie, but de la partie. À l'image des péripéties de la vie, ce divertissement évoquerait ainsi la force du destin. On pense d'ailleurs qu'à l'origine il tenait lieu d'oracle, tout comme les marelles égyptiennes ou chinoises dont il s'inspire. Apprécié des courtisans de Louis XIII et de Louis XIV, il s'intitule alors « jeu des âges ou des vices, vertus, passions et événements de la vie », voire, plus légèrement, « jeu royal de Cupidon ». Jusqu'au XIXe siècle, les adultes s'adonnent au jeu de l'oie en pariant de l'argent, et l'adaptent, comme le loto, aux goûts du temps.

Très populaire depuis sa création, le jeu de l'oie amuse, éduque, mais peut aussi devenir un instrument de propagande. Si l'on invente au siècle dernier les innocents jeux « du chemin de fer » ou « de la tour Eiffel », on se distrait plus tard au « jeu de l'affaire Dreyfus et de la Vérité » ou au « jeu de la francisque » en 1942. Plus qu'un passe-temps désuet, le jeu de l'oie, qui fait encore la joie des enfants, peut donc être considéré aujourd'hui comme un objet de collection, un véritable témoin de notre histoire.